À CONTRE-COURANT DE LA TENDANCE DU MOMENT, LE STUDIO DE PORTLAND S’EST SPÉCIALISÉ DANS LA STOP MOTION. EXPLICATIONS DE SON PRÉSIDENT, TRAVIS KNIGHT.

On aime, à l’évidence, pratiquer le mélange des genres chez Laika, et pas seulement en termes de techniques d’animation. Ainsi Travis Knight, le fils du fondateur du studio, ne s’en tient-il pas exclusivement à sa casquette de président, il compte également parmi les chefs-animateurs ayant travaillé sur The Boxtrolls, poste qu’il occupait déjà sur Coraline et ParaNorman. C’est d’ailleurs devant l’un des décors du film, la banque de Cheesebridge, qu’on le retrouve, sourire aux lèvres et enthousiasme communicatif, pour parler d’animation image par image, bien sûr, mais encore de stratégie à moyen terme…

Pourquoi avoir opté pour la stop motion?

C’est essentiel. Les origines de la stop motion remontent à l’aube du cinéma. Parmi les tout premiers cinéastes, il y avait beaucoup de magiciens qui cherchaient un moyen de donner vie à leurs illusions. Le cinéma leur en a offert l’opportunité, à l’aide de diverses techniques, dont la stop motion. Nous sommes en quelque sorte les descendants de ces magiciens. Ce qui nous rend différents, c’est que nous avons aussi adopté la technologie qui avait essayé d’éliminer ce médium. Mais si nous recourons à des outils divers, et même au numérique pour des effets que l’on ne pourrait pas obtenir sur le plateau, l’animation image par image reste au coeur du processus créatif. La stop motion permet de raconter des histoires d’une manière qu’aucun autre médium ne peut reproduire. Sa dimension humaine lui confère une qualité inégalable.

Comment définiriez-vous la philosophie Laika?

Les films que nous tournons sont un peu inhabituels dans le contexte du moment, mais beaucoup moins, envisagés à l’échelle de l’Histoire du cinéma. Nous nous adressons à un public familial, et le type d’histoires que nous racontons en découle. Mais nous voulons aussi qu’elles recèlent de la noirceur et de la lumière, une intensité et une dynamique que l’on ne trouve plus guère dans les films familiaux d’aujourd’hui, où les angles sont souvent arrondis de peur d’effrayer le public, les enfants en particulier. C’est oublier toutefois que des films comme Blanche-Neige ou Pinocchio avaient une intensité qui leur donnait du sens. Nous voulons proposer des films qui constituent une expérience riche, et puissent faire l’objet de discussions en famille. A côté de ceux des autres studios d’animation, ils ont peut-être quelque chose d’aberrant, mais nous n’y voyons que de bonnes histoires, combinant émotions, intensité et stylisation visuelle.

Le succès de Coraline a-t-il défini le style, « creepy » et adorable à la fois, de vos productions?

A l’époque de Coraline, nous avons eu beaucoup de difficultés à trouver des partenaires pour la distribution du film en raison de sa nature horrifique et terrifiante. Même si, à mes yeux, il s’agissait d’un conte de fées comme il s’en est toujours tourné. Nous avons trouvé d’excellents partenaires chez Focus et Universal qui ont compris qu’ils s’agissait d’une histoire classique et en ont accepté la dimension un peu flippante, avec une part de noirceur et un côté film d’horreur. ParaNorman était différent: c’était un récit d’apprentissage, avec des éléments horrifiques, certes, mais ce n’est que coïncidence si ces deux films se sont succédé. Et The Boxtrolls n’a rien à voir: tandis que les deux premiers étaient des histoires américaines contemporaines, incluant des éléments surnaturels, il s’agit cette fois d’un film d’époque, que l’on pourrait appréhender comme un mélange de Dickens, de Roald Dahl et des Monty Python, relevé de moments surréalistes et d’humour décalé. Ce n’est aucunement un film d’horreur. Coraline ne constitue qu’un élément de notre ADN.

Laika est installée à Portland. Auriez-vous été en mesure de faire des films aussi sombres sous le soleil californien?

Etre à l’écart de cet environnement a sans conteste contribué au fait que nous ayons réussi à développer une identité différente des studios d’animation hollywoodiens. En être physiquement éloignés nous a aidés à forger notre propre culture, et je pense que cela rejaillit dans notre point de vue, et dans le type de films que nous réalisons. Portland est un endroit bizarre, qui attire certaines personnes: on y trouve beaucoup de groupes indie et des mouvements artistiques singuliers, et c’est une ville qui a une longue histoire en animation image par image.

Quid si Disney vous faisait une proposition qui ne se refuse pas?

(rires) Il faudrait déjà que l’offre soit conséquente. Ils font leur truc, nous faisons le nôtre, et cela me convient parfaitement. Je suis ravi de l’existence d’autres studios d’animation, parce que nous produisons tous des films fort différents. Disney ne pourrait jamais réaliser le type de films que nous tournons, et vice-versa, et c’est fort bien.

Allez-vous tenter de comprimer les délais de production de vos films?

Oui. Trois ans ont séparé les sorties de Coraline et ParaNorman, un délai lié en partie au fait que nous débutions, et que le processus de développement est fort long. Nous avons ramené ce délai à deux ans pour The Boxtrolls, et nous voulons continuer à le raboter. Notre intention est d’entrer dans un cycle annuel, où les productions se chevaucheraient. Nous n’en sommes plus guère éloignés.

Pensez-vous que la stop motion puisse un jour disparaître?

Il y aura toujours des amoureux de l’animation image par image pour veiller à la maintenir en vie. Nous sommes à la pointe sur ce terrain, mais je ne pense pas qu’elle disparaîtra un jour, pas plus que l’animation en 2D. Ce n’est pas parce que la plupart des films se font désormais en CG que d’autres façons de les réaliser ne peuvent coexister.

J.F. PL.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content