La Vallée de la mort

Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

Anthony Pastor donne une suite pleine de fureur à son Sentier des Reines. Et transporte ses personnages d’une rare originalité EN Nouvelle-Calédonie.

La Vallée du Diable

De Anthony Pastor. éditions Casterman. 128 pages.

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Que la Savoie semble loin. On avait laissé Bianca, Pauline, Florentin et Arpin aux pieds des montagnes, à ce que l’on croyait être le bout de leur calvaire -quatre être abîmés par la Grande Guerre, fuyant les ravages d’une avalanche et l’extrême pauvreté, mais également en quête d’une liberté qui n’était ni de ces lieux, ni de cette époque. On les retrouve cinq ans plus tard, en 1925, en Nouvelle- Calédonie. Contre toute attente, Pauline la jeune veuve a épousé Arpin, le Poilu cabossé et jamais vraiment revenu des tranchées. Florentin l’orphelin est devenu un jeune homme triste et inconsolable. Quant à Bianca, plus vieille et sèche que jamais, elle hante ces nouveaux lieux en partageant l’avis désillusionné d’Arpin: « Vous avez fait beaucoup de chemin. Et ça ne mène nulle part. »

Car si la misère est, comme le dit le poète, moins pénible au soleil, elle se mêle dans cette colonie à une violence sourde et à bien d’autres injustices, entre esclaves kanaks, anciens bagnards et propriétaires aveuglés par leur impunité. La tempête va bientôt se lever sur cette île du bout du monde, aussi âpre que la montagne savoyarde, en plus terrible encore: la violence souvent contenue dans le Sentier va cette fois exploser dans cette Vallée. Et donner plus de profondeur encore à la fresque atypique qu’est en train de construire l’auteur Anthony Pastor.

Routes et sillons

La route vers la civilisation et l’émancipation est donc longue. Elle continue en tout cas de surprendre, tant dans le décor -la Nouvelle-Calédonie, rarement traitée en BD- que dans le destin de ses personnages: Le Sentier des Reines semblait se concentrer comme son nom l’indique sur Pauline et Bianca; cette Vallée du Diable élargit la focale et s’intéresse cette fois, comme son nom l’indique aussi, aux parts d’ombre et aux fantômes de chacun de ses personnages, hommes ou femmes. Et si l’on est cette fois graphiquement moins esbaudi par les mines et les champs de café de l’archipel océanien que par les enfers blancs des Alpes, on est par contre transporté par la complexité et la singularité de ses personnages, emportés par une tempête spectaculaire de vents, de violence et de sentiments. Tous n’y survivront pas, mais Anthony Pastor laisse penser, comme au pied de son Sentier, qu’il pourrait y avoir une suite, toujours aussi âpre, au bout de la Vallée. Entretemps, Anthony Pastor lui aussi creuse sa route, au-delà des modes et des sujets clinquants: après quelques albums chez l’An 2 et malgré l’accueil critique reçu en 2015, ce quadragénaire rare continue de prendre son temps et de développer un univers graphique et narratif faussement classique, mais réellement puissant.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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