La trilogie du mal

Vénérable W.

Pièce de résistance du coffret que consacre aujourd’hui Carlotta à Barbet Schroeder, Général Idi Amin Dada, autoportrait ouvrait, en 1974, ce que le réalisateur devait baptiser sa « trilogie du mal », composée encore de L’Avocat de la terreur, documentaire sur Jacques Vergès réalisé en 2007, et du Vénérable W., portrait du moine bouddhiste birman Ashin Wirathu, découvert en séance spéciale lors du dernier festival de Cannes. L’occasion de questionner le cinéaste sur les fondements de sa démarche: « Ce qui est intéressant, c’est moins le mal, qui n’est jamais qu’une notion abstraite, que les formes qu’il adopte quand on le filme de près, commence-t-il. C’est moins l’expression du mal que les masques qu’il revêt: dans le chef d’Amin Dada, par exemple, il se cachait derrière les discours et une humeur joviale à l’occasion. Le mal a beaucoup de possibilités de déguisement à sa disposition, et il est important de comprendre qu’il peut apparaître de façon tout à fait naturelle. Non qu’il soit ordinaire, mais il est effrayant de voir qu’il peut prendre un visage humain. Quand j’ai tourné le documentaire sur Amin Dada, je n’en croyais pas mes yeux… » Le spectateur guère plus, qui voit l’horreur et la vérité s’installer d’elles-mêmes, pour ainsi dire…

Schroeder sera à ce point impressionné qu’il souhaite renouveler l’expérience, à condition toutefois de trouver un angle différent. « On m’a demandé de tourner des films sur tous les dictateurs du monde, mais j’ai refusé. J’en avais fait un, il n’était pas question d’en aligner d’autres. » Des projets de documentaires sur les Khmers rouges, au Cambodge, ou sur José López Rega, chef des escadrons de la mort en Argentine, ayant avorté, il jette bientôt son dévolu sur l’avocat Jacques Vergès, défenseur aussi bien du terroriste Carlos que de Klaus Barbie. « C’était excitant et fascinant à déflorer, parce qu’il y a toujours une ambiguïté lorsqu’on approche ce type de mal », observe-t-il. Quant à Wirathu, le moine charismatique qui complète aujourd’hui cette galerie, et dont le cinéaste répugne à prononcer le nom, préférant la simple initiale W., il l’a vu se colleter avec « quelque chose d’assez terrifiant: quand on traite de ce qui pourrait relever du génocide, on touche au mal ultime. Et cela devient d’autant plus effrayant qu’il se peut que l’on soit aussi un peu responsable. Il faut faire attention au moindre de ses actes, parce que les enjeux sont plus élevés, même si je veille à conserver mon attitude consistant à ne jamais juger. » Le résultat est stupéfiant. Rendu plus fort encore par le fait que cet homme prêchant le racisme, le nationalisme et l’islamophobie, et répandant ce faisant la haine telle une traînée de poudre, est de confession bouddhiste, religion généralement associée à la paix et à la tolérance, mais dévoyée pour le coup. La démonstration, là encore, que le mal peut s’incarner sous différents visages, au coeur d’un film dont on espère qu’il se frayera un chemin jusqu’aux écrans belges, tant son intérêt excède son seul cadre birman pour tendre à l’universel…

J.F. PL.

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