ENTRE FRANÇOIS BOURGEON QUI CLÔT SON CYCLE DE CYANN ET DENIS BAJRAM QUI POURSUIT SON UNIVERSAL WAR, LA SF FRANCOPHONE TRUSTE LES SORTIES ET LES VENTES. UN NOUVEL ÂGE D’OR, POURTANT FIDÈLE À SES SPÉCIFICITÉS.

Mézières, Forest ou Druillet (ne parlons même pas de Moebius) pourraient se croire dans un mauvais récit de science-fiction -car pas crédible- s’ils jetaient un oeil aujourd’hui sur les sorties d’albums et leurs chiffres de ventes: la bande dessinée de science-fiction anglée adulte et volontiers « auteuriste » truste désormais les palmarès et les devantures avec le soutien appuyé de leurs éditeurs, qui savent que leurs résultats de l’année dépendront pour beaucoup de leurs sorties SF! Un monde de différence, presque une galaxie, avec la situation qui prévalait encore il y a peu: « La SF, ça ne vend pas« , comme se l’entend encore dire Denis Bajram, la nouvelle star du genre (lire par ailleurs).

François Bourgeon, lui, a en grande partie traversé cette galaxie. A 69 ans, l’auteur d’abord connu pour ces récits historiques très documentés (et d’une sensualité brûlante) boucle enfin et en grandes pompes son Cycle de Cyann, ambitieuse et très personnelle fresque SF entamée en 1993, il y a plus de 20 ans, avec son complice Claude Lacroix. Une époque où il fallait être fou pour se lancer dans le genre, méprisé et déserté: hormis quelques pépites et quelques grands auteurs, la science-fiction a de tout temps été le parent pauvre de la BD franco-belge. Aujourd’hui, c’est Denis Bajram, avec son deuxième tome de Universal War Two, qui réalise pourtant les meilleures ventes depuis sa sortie, et ce alors que le bureau de votre serviteur s’apprête à se désintégrer sous le poids des récentes et seules sorties SF, au sens large mais toutes francophones: SF pure avec Leo (Survivants) ou Peeters (Aâma), uchronie avec Metropolis, steampunk et merveilleux avec Le Château des étoiles, anticipation avec la réédition de Requiem blanc, et même de purs comics à la française avec Fox Boy ou Attoneen… Il y en a désormais pour tous et tous les goûts, sans que ce succès de foule, nouveau pour elle, ne bouleverse les fondamentaux de la SF française: celle-ci reste, pour l’essentiel, unique en son genre, avec un goût prononcé pour le space opera volontiers intello, personnel, sociétal et surtout très crédible. Comme les dessine Bourgeon depuis plus de 20 ans.

Space credibility

« Je rêvais de laisser mon imagination vagabonder loin des contraintes historiques, explique l’auteur du Cycle de Cyann mais aussi des Passagers du Vent ou des Compagnons du Crépuscule, des récits historiques qui firent de lui une star des années 80. Mais c’est le contraire qui s’est produit. Pour aborder un univers différent et le traiter comme un univers réel, avec la même complexité, la même cohérence, il faut réfléchir à tout. En entamant La Source et la Sonde, le premier album, j’avais mon personnage, une gosse de riche un peu arrogante, j’avais prévu la ville, avec ses bassins superposés, cet étagement en rizières. Mais je coinçais un peu sur la technologie ou les vaisseaux spatiaux. Claude Lacroix, très branché SF, m’a proposé de m’aider et est devenu co-documentaliste.« Un documentaliste pour une oeuvre de pure imagination, avec ses galaxies, sa faune, sa flore, son vocabulaire? « Bien sûr, il faut souvent des plans et des maquettes, des tonnes de repérages, et en savoir beaucoup plus que ce que l’on raconte. Si ça n’existe pas, aucun intérêt.« Un souci de crédibilité qui a permis de fondre Le Cycle de Cyann dans une oeuvre d’auteur plus large que la SF, véhiculant les mêmes thèmes -« La vie est dure. Pas parce qu’elle est méchante, elle s’en fout, mais parce qu’elle est indifférente, donc impitoyable. Notre fonction d’êtres humains, c’est d’essayer d’y introduire quelque chose d’un peu plus intéressant, d’essayer de remettre en question nos certitudes, nos connaissances, comme Isa ou Zabo (héroïnes des deux cycles des Passagers du Vent, ndlr), comme Mariotte (héroïne de ses Compagnons, ndlr), et, c’est vrai, comme Cyann. » Un goût pour les héroïnes et un certain érotisme qui lui aussi transcende les genres: « Au cinéma, il est facile de trouver une femme « normale », mais qui dégage un charme fou, une fulgurance dans le regard, l’ombre d’un sourire… En BD, on n’a pas le temps, il faut tricher pour évoquer l’impression que quelqu’un a sur quelqu’un d’autre. On a tous essayé comme Van Gogh de faire bouger les blés, j’essaye, moi, de capter quelque chose du charme des femmes.  »

Reste cette évidence, omniprésente dans la SF française si friande de création d’univers, et en particulier dans l’oeuvre de Bourgeon: le futur comme le passé permettent surtout aux auteurs de parler du présent. Les deux méthodes se valent, confirme le Français: « La plus dangereuse, c’est le temps présent, qui bouge beaucoup trop vite pour un boulot comme le mien, marqué par la lenteur. J’ai besoin de temps si je ne veux pas être rattrapé par la réalité. »

LE CYCLE DE CYANN (TOME 6), DE FRANÇOIS BOURGEON ET CLAUDE LACROIX, ÉDITIONS DELCOURT, 64 PAGES.

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TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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