AU PETIT ÉCRAN AUSSI, HITCHCOCK FUT UN PRÉCURSEUR. UN COFFRET DVD VIENT LE RAPPELER UTILEMENT.

L’implication de grands cinéastes dans des séries télévisées est aujourd’hui chose courante. Au milieu des années 50, rien n’était moins vrai. Et beaucoup restèrent incrédules quand fut annoncée la diffusion d’Alfred Hitchcock Presents. En plein développement, le petit écran n’attirait guère, jusque-là, de ténors du grand. Hollywood voyant monter avec quelque inquiétude la concurrence de la petite boîte installée dans de plus en plus de foyers, tout en ne masquant pas un certain mépris pour le niveau artistique de sa production…

Grand artiste mais aussi homme d’affaires avisé, Hitchcock a très vite perçu le potentiel du nouvel outil promis au succès populaire. Il ne se rabat pas sur la télévision suite à un insuccès. Dial M for Murder (1954), Rear Window (1954) et To Catch a Thief (1955) n’ont pas été des « fours », loin de là. Mais son flair d’entrepreneur pousse Hitch vers un projet de série qu’il va produire lui-même, via sa propre société Shamley (du nom de Shamley Green, petit village anglais où il possède une maison de campagne). Un deal avec la chaîne CBS est signé, pour une première saison de téléfilms policiers et criminels qui sera diffusée à partir du 2 octobre 1955. Alfred Hitchcock Presents fera cinq saisons sur CBS, puis deux autres sur NBC. The Alfred Hitchcock Hour prenant sa succession en 1962 pour deux saisons chez CBS et une troisième chez NBC. Quand l’aventure s’achèvera, fin 1965, un total de… 361 épisodes aura été réalisé. 268 pour Alfred Hitchcock Presents et 93 pour The Alfred Hitchcock Hour. Le cinéaste en aura signé lui-même une vingtaine.

Une formule gagnante

Le coffret de cinq DVD qui paraît aujourd’hui contient les seize premiers épisodes de The Alfred Hitchcock Hour. Tous remastérisés, et pour la plupart inédits en terre francophone. La formule gagnante des séries hitchcockiennes s’y expose avec éloquence. Avec en tout premier lieu la personnalisation extrême d’un projet rendu attractif par le rôle de présentateur qu’y tient le cinéaste. Hitch assume son statut de réalisateur vedette, dont les apparitions -souvent humoristiques- dans ses films de cinéma sont chaque fois attendues avec curiosité par les spectateurs (1). Pour la télévision, il commence par offrir sa silhouette célèbre au générique, accompagné d’une musique (La Marche funèbre d’une marionnette de Charles Gounod) qui deviendra très vite fameuse. Il apparaît ensuite dans un cadre à chaque fois différent, pour introduire l’épisode du jour mais aussi épingler avec ironie la présence de messages publicitaires avant, pendant et après la diffusion du téléfilm. Voir Hitchcock dévaloriser parfois cruellement cette pub qui paye par ailleurs en partie son travail, en un sommet de schizophrénie assumée, est une source inépuisable de plaisir!

Les histoires en elles-mêmes, et leur mise en scène, sont inévitablement d’un niveau inégal. Le fil rouge est une noirceur qui se conjugue tantôt avec humour tantôt avec gravité, en prenant le spectateur à témoin et en insinuant dans son esprit le doute, l’inquiétude. Le seul épisode du coffret réalisé par Hitchcock en personne, I Saw the Whole Thing, en atteste, où un écrivain de romans à mystère s’y défend d’une grave accusation devant des témoins dont il s’évertue à démonter les propos. John Forsythe, qui marquera la mémoire dans les années 70 avec la série Charlie’s Angels (c’est lui Charlie), y tient le rôle principal. Forsythe était déjà, à l’époque, un acteur de télévision -il allait avoir son propre show en 1965. Mais nombre de comédiens connus ou même très connus au grand écran n’hésitaient pas à faire les beaux jours d’Alfred Hitchcock Presents ou de The Alfred Hitchcock Hour. On peut ainsi voir à l’oeuvre, dans le coffret tout juste paru, un excellent James Mason, en écrivain de polars confondant fiction et meurtre réel dans Captive Audience. Et on découvre avec surprise, dans A Piece of the Action, un tout jeune Robert Redford, révélant sous son allure séduisante une âme retorse de profiteur sans scrupule et de joueur compulsif… Gena Rowlands est magnifique dans Ride the Nightmare (un vrai « cliffhanger »), et Peter Falk très bien dans Bonfire, dénonciation acide de la tartufferie religieuse. Derrière la caméra, on voit briller le vétéran John Brahm avec le très noir Don’t Look Behind You, et le néophyte Sidney Pollack avec un fascinant The Black Curtain. Un téléfilm qui s’inscrit à merveille dans la logique hitchcockienne du suspense et du mal pouvant se révéler en chacun et à tout moment. Le couple, enfer potentiel, offrant son théâtre idéal à nombre de récits où l’on découvre que la perversion va se nicher au plus profond de la bonne société, de l’American way of life…

Certains épisodes se révèlent certes dispensables (sinon pour les interventions d’Hitchcock présentateur, toutes succulentes), mais l’ensemble vaut assurément le détour. On espère pouvoir disposer un jour de l’intégrale des dix belles saisons télévisées du maître. Lequel, chose remarquable, sut s’inspirer de son expérience au petit écran pour oser et réussir le génial Psycho en 1960…

(1) LARS VON TRIER S’EN SOUVIENDRA TROIS DÉCENNIES PLUS TARD, POUR SON EXTRAORDINAIRE SÉRIE HOSPITALIÈRE THE KINGDOM (1994-1997), DONT IL CONCLUT CHAQUE ÉPISODE PAR UNE APPARITION PLEINE D’HUMOUR DÉCALÉ.

?ALFRED HITCHCOCK PRÉSENTE: LES INÉDITS, SAISON 1, VOLUME 1 – THE ALFRED HITCHCOCK HOUR – EPISODES 1 À 16. AVEC QUELQUES SUPPLÉMENTS RECADRANT BIEN LES RAPPORTS ENTRE HITCH ET LA TÉLÉ. DIST: ELEPHANT FILMS.

TEXTE Louis Danvers

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