DESPLECHIN ADAPTE LIMPIDEMENT PSYCHOTHÉRAPIE D’UN INDIEN DES PLAINES DE GEORGES DEVEREUX, DONT IL TIRE LE RÉCIT D’UNE AMITIÉ, PORTÉ PAR UN ÉLAN ROMANESQUE PUISSANT.

Jimmy P.

DE ARNAUD DESPLECHIN. AVEC BENICIO DEL TORO, MATHIEU AMALRIC, GINA MCKEE. 1 H 54. DIST: LUMIÈRE.

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Il fallait, assurément, la sensibilité mais aussi la maturité d’un Arnaud Desplechin pour s’atteler à l’adaptation de Psychothérapie d’un Indien des Plaines, l’ouvrage fondateur de Georges Devereux, publié à l’orée des années 50 aux Etats-Unis. L’ethnopsychiatre français y consignait, séance après séance, les minutes de l’analyse qu’il avait entreprise sur Jimmy Picard, Indien Blackfoot sorti traumatisé de la Seconde Guerre mondiale, et souffrant de troubles multiples -des maux de tête violents, assortis de cécité temporaire, notamment- qui devaient lui valoir d’être accueilli à l’hôpital militaire de Topeka, au Kansas, théâtre de leur rencontre.

Elargir l’horizon

Leurs conversations à répétition offrent aussi son cadre à Jimmy P. , première expérience américaine de son auteur, et un film étonnant à tout le moins qui, s’insinuant dans les méandres d’un ouvrage passionnant mais objectivement aride, réussit à l’amener en territoire purement cinématographique. Autant que celui d’une analyse, au demeurant passionnante, c’est là le récit d’une amitié, improbable et, partant, exceptionnelle. A mesure, en effet, que Jimmy Picard (Benicio Del Toro, massif et vulnérable à la fois) se raconte à travers ses rêves toujours plus prégnants à un Devereux à l’oreille attentive (Mathieu Amalric, dans une composition excentrique en accord avec le personnage), une complicité grandissante va les rapprocher. Jusqu’à se muer en une amitié irréductible, unissant deux hommes que tout séparait a priori, n’était leur condition d’exilé -l’un comme « native » dans une Amérique ne l’ayant pas attendu, l’autre en tant que juif d’origine européenne-, et que la thérapie aura le don de révéler l’un à l’autre.

Desplechin trouve, pour sa part, dans leur relation une matière romanesque féconde, inscrite dans un espace américain souverain qui lui inspire son opus le plus épuré -à l’ombre bienveillante de François Truffaut, mais aussi de John Ford, donc. Et d’opérer en profondeur, tandis que le film, porté par un lyrisme délicat, déploie ses strates successives, dans un mouvement d’une confondante fluidité, puisant dans sa pâte humaine, d’une formidable richesse, matière à questionner, encore, l’Histoire américaine avec une acuité discrète. OEuvre fascinante et parfaitement maîtrisée, Jimmy P. est aussi de celles qui produisent un effet à retardement, chaque nouvelle vision semblant devoir en élargir un peu plus l’horizon en une perspective proprement ensorcelante. Si Arnaud Depleschin confesse n’avoir que fort modérément le goût de l’exotisme, l’Amérique lui a, de toute évidence, fort bien réussi. Court making of et scènes coupées en bonus.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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