Encore une brebis du Seigneur égarée dans le Jardin de la Tentation pop? Non, l’australienne Sarah Blasko met dans ses charmantes mélodies déguisées en veuve joyeuse des histoires de cour brisé.

Coincé entre les sex-shops et les gogos en vadrouille, ce club de Soho a quelque chose de kinky. C’est l’Angleterre éternelle du fish’n’chips graisseux marié aux promesses de glamour: lieu où Sarah Blasko offre un showcase à l’occasion de la sortie d’ As Day Follows Night. Un troisième album qui devrait propager un nom déjà fameux en Australie où la native a décroché plusieurs disques de platine. Sur la scène lunapar du Madame Jojo’s, la jeune femme en strass interprète des chansons vénéneuses au ressort radiophonique. Il y a aussi la voix, filandreuse et sensuelle, qui s’épaissit dans des mélodies aux relents morphinomanes. Curieux et hypnotique mélange. Vient-il d’une rupture amoureuse, d’une éducation religieuse extrême ou de l’infinité sombre de l’Australie? Des trois, sans aucun doute. Les plans du label anglais Dramatico (cf. Focus du 9 avril) sont de faire de Blasko, 33 ans, une star planétaire à la Katie Melua, même si les avancées de Sarah ont plus de pesanteur et de tourment que les sucreries de Katie. L’après-midi de sa performance, on rencontre Blasko dans le club désert: on dirait un personnage de Lewis Caroll égaré dans un épisode de 24 heures. Pour la chanteuse, la sortie de l’album s’accompagne aussi d’une migration vers le Nord: elle habite Londres depuis une semaine à peine et entame une nouvelle vie qui va au-delà de la musique.

As Day Follows Night est un disque de rupture amoureuse…

C’en est le thème majeur, oui. J’ai voulu écrire des chansons qui traitent directement de cela mais aussi de ce que cela représente de traverser ce genre de chose et d’en tirer un certain positivisme (elle hésite). Je ne voulais pas verser dans l’auto-apitoiement -cela aurait pu être un disque infiniment plus triste…- mais j’ai eu envie d’une musique régénérante, magique, quasi onirique, fantasque. Comme dans une comédie musicale. Ce genre d’expérience amoureuse est déchirante mais elle a le mérite de reconnecter avec tout ce qui semble réel dans la vie, le merveilleux qu’on ne voit plus.

Le disque est sombre, une caractéristique qu’on n’associe pas d’emblée à l’Australie.

L’Australie produit beaucoup de musique sombre comme The Drones ou The Triffids. Le temps est trop beau, cela fout les gens en rogne (rires). L’infini des paysages peut rassurer ou provoquer exactement le sentiment contraire. C’est aussi un pays-continent qui résulte d’une histoire brutale: quelqu’un comme Gurrumul, même si on ne comprend pas ce qu’il chante, donne le sens de cette démesure.

Où en sont vos ténèbres personnelles?

Ils sont là, en moi, et je les traque constamment. Avoir grandi dans un strict environnement religieux nourrit cela. Voir le monde par ce prisme noir et blanc est assez glauque et malsain quand il s’agit d’évaluer votre propre importance. La religion vous porte à juger lourdement les autres mais aussi à appliquer à vous-même cette sorte d’inquisition permanente. A ne pas vous pardonner. Ce qui est extrêmement ironique puisque, techniquement, la religion est supposée prêcher compréhension, pardon et amour (sourire).

Où en êtes-vous dans cette histoire-là?

Avant ma naissance, mes parents étaient missionnaires. Et puis, ils se sont pas mal trimballés d’église en d’église en Australie. Le plus dur est venu à mon adolescence quand ils se sont impliqués dans cette congrégation pentecôtiste de Sydney. Un culte extrême, où les gens chassent leurs démons et parlent en langues(1). Le Diable y est omniprésent et il s’agit d’éradiquer sa présence à tout moment: tout cela est nourri par la peur. On nous instillait que Jésus allait revenir, que la fin du monde était proche… Mes parents étaient, d’une certaine façon, naïfs et c’est moi, à l’âge de 17 ans, témoin du naufrage de leur couple, qui leur aie dit qu’il ne fallait plus aller à cette église qui avait comme ambition de remplacer la famille! J’ai passé 10 années à m’éloigner de tout cela: c’est extrêmement difficile parce que le doute est toujours là. Avec le recul néanmoins, cette expérience me semble avoir été formatrice. C’est peut-être mieux que d’avoir vécu une morne existence de banlieue…

La crainte est toujours en vous?

Oui… La crainte d’aller dans la mauvaise direction. Aujourd’hui, je me sens agnostique: je crois dans un dieu sans savoir ce que cela signifie. C’est peu dire que ma musique est thérapeutique. J’ai commencé à chanter dans les églises et j’y ai réalisé la puissance de la musique qui transcende tout, agrippe vos émotions. J’étais très timide, au début, chantant seulement dans ma chambre, de plus en plus fort (rires). Au début, chanter était une expérience complètement privée, intime. Maintenant, mes chansons sont livrées au monde et j’en suis contente.

(1) Aussi appelée glossolalie, cette pratique consiste pour les pratiquants à parler ou prier à haute voix dans des langues qu’ils ne connaissent pas…

Rencontre Philippe Cornet, à Londres

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