LA GRANDE DÉSILLUSION – EN 1939, À LA VEILLE DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE, JEAN RENOIR TOURNE LA RÈGLE DU JEU. INCOMPRIS À SA SORTIE, LE FILM S’EST, DEPUIS, ÉRIGÉ EN CLASSIQUE ABSOLU.

DE ET AVEC JEAN RENOIR. AVEC DALIO, NORA GREGOR, JULIEN CARETTE. 1 H 41. 1939. ED. MONTPARNASSE. DIST: TWIN PICS.

Au sujet de La règle du jeu, François Truffaut parlait de « film des films. Le credo des cinéphiles.  » Et de fait, avec cette £uvre tournée à la veille de la Seconde Guerre mondiale, Jean Renoir accédait à une forme d’absolu cinématographique, réinventant son art avec une audace et une inspiration que l’on ne saurait qualifier autrement que de géniales. Présenté par son auteur comme une fantaisie dramatique, le film relate les démêlés sentimentaux d’aristocrates réunis pour une partie de chasse en Sologne à l’invitation du marquis de La Chesnaye (Dalio), marquis dont la femme Christine (Nora Gregor), convaincue à bon droit qu’il a une maîtresse, passe des bras d’un courtisan à un autre. Dans un troublant effet de miroir, les jeux de l’amour ayant cours chez les maîtres trouvent un écho dans les intrigues qui agitent les domestiques, Lisette (Paulette Dubost) en particulier s’attachant à faire tourner Schumacher (Gaston Modot), son mari, en bourrique. Maître du jeu, Renoir se réserve aussi celui de l’intermédiaire entre les 2 mondes, sous les traits d’Octave, un parasite bien en cour.

C’est à une fascinante comédie de m£urs que se livre ici le cinéaste, dont le film, virtuose, évoque une tragédie dansante à l’issue aussi dramatique que désabusée, en un écho limpide à l’époque. « J’ai voulu faire un film agréable mais qui en même temps soit la critique d’une société que je considérais comme résolument pourrie et que je continue à considérer comme résolument pourrie. Cette société est la même, elle n’a pas fini d’être pourrie, elle n’a pas fini de nous entraîner vers de très jolies petites catastrophes », expliquera-t-il par après. Le public de 1939 n’est pas plus prêt pour semblable critique sociale que pour une telle modernité, et le film constitue, à sa sortie, « le plus grand insuccès » de Renoir, avant d’être justement réhabilité. Il n’est pratiquement pas un classement des meilleurs films de tous les temps où il ne figure au même titre que le Citizen Kane de Welles, et il a influencé les cinéastes les plus divers -jusqu’à Robert Altman qui le citait limpidement dans Gosford Park.

Outre le bonheur de s’y replonger, cette édition Blu-ray propose de nombreux compléments éclairants -ainsi de l’un des 3 épisodes de l’émission Cinéastes de notre temps consacrée à Jean Renoir, en 1966, mais encore du documentaire Il était une fois… La règle du jeu, réalisé en 2010, où Olivier Assayas, Bertrand Tavernier et divers exégètes reviennent sur un chef-d’£uvre inépuisable. Un must.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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