NOAH BAUMBACH SIGNE UN FILM SAVOUREUX AUTOUR D’UN COUPLE DE QUADRAS NEW-YORKAIS DÉCOUVRANT QUE LE TEMPSNE LES A PAS ATTENDUS. UNE oeUVRE DE… MATURITÉ, AVEC BEN STILLER, IMPARABLE.

Auteur précoce, lui qui tournait son premier film, Kicking and Screaming, à tout juste 25 printemps, Noah Baumbach a dû patienter une dizaine d’années et trois nouveaux longs métrages avant d’accéder à la reconnaissance internationale. C’était en 2005, et The Squid and the Whale imposait le natif de Brooklyn comme l’une des figures de proue du cinéma indépendant américain, statut conforté ensuite de Greenberg en Frances Ha ou, aujourd’hui, While We’re Young.

Il y a incontestablement un style Baumbach, et ce huitième essai n’y déroge pas, New York offrant son cadre référencé aux évolutions d’individus engagés dans une lutte inégale avec le temps. Mais si le motif est familier, la manière, elle, évolue, et c’est là, peut-être, le film le plus abouti d’un réalisateur arrivé, à 45 ans bien frappés, à cette maturité qui se dérobe obstinément devant ses personnages. L’objet, parmi d’autres, d’un entretien détendu avec le plus new-yorkais des cinéastes -depuis Woody Allen s’entend.

Comédie du remariage

« J’avais envie de traiter du mariage de façon amusante, commence-t-il. J’ai toujours apprécié les screwball comedies des années 30 et 40, ces films que l’on appelle aussi des comédies du remariage, dont les protagonistes se séparent pour mieux se retrouver. J’ai voulu m’inscrire dans cette tradition, tout en veillant à en proposer ma propre version. » Ainsi donc Josh et Cornelia, époux affichant la quarantaine épanouie, jusqu’au jour où la rencontre de Jamie et Darcy, la petite trentaine conquérante, envoie valdinguer leurs certitudes. Et leur relation d’emprunter bientôt des chemins de traverse, suivant un modèle éprouvé.

Enfant d’un couple de critiques, Noah Baumbach s’est épanoui dans la cinéphilie. Et comme tous ses opus précédents, While We’re Young multiplie les références plus ou moins souterraines, mais qui, loin d’écraser le propos, nourrissent un ton n’appartenant qu’à lui. Outre donc un genre auquel les Preston Sturges, Leo McCarey, Frank Capra ou autre Howard Hawks ont donné ses lettres de noblesse, le film cite ainsi… Woody, inspiration quasi subliminale –« J’ai grandi en regardant ses films, que j’adore et avec lesquels j’éprouve un lien très fort; ils font partie de moi, sans même que j’en sois conscient ». Mais aussi, et plus explicitement cette fois, Jean-Luc Godard, étendard brandi par Josh/Ben Stiller, le personnage central du film.

Documentariste enseignant dans une école supérieure de la Grosse Pomme, ce dernier s’en réfère directement au réalisateur de Pierrot le fou, reconsidérant l’assertion voulant qu’à l’inverse du documentaire, qui parle de quelqu’un d’autre, la fiction porte sur soi-même. Partant, il est tentant d’interroger Noah Baumbach sur la part autobiographique de son cinéma, et de ce film en particulier, lui dont aussi bien Kicking and Screaming que The Squid and the Whale intégraient des éléments empruntés à sa vie personnelle -des souvenirs d’études pour le premier; le divorce de ses parents pour le second. « Je ne sais pas, soupèse-t-il. Les gens semblent me prêter des points communs avec le personnage joué par Ben. Mais professionnellement, en tout cas, je me sens plus proche de Jamie, celui qu’incarne Adam Driver. Je garde le contact avec mes ambitions, je suis plutôt productif et je peux me montrer intransigeant sur le plan créatif, toutes choses avec lesquelles Josh entretient des rapports conflictuels. »

Fossé générationnel

Autant que celle l’unissant à Cornelia (Naomi Watts), la relation entre Josh et Jamie est le coeur de While We’re Young. Au premier se débattant depuis des années déjà avec son deuxième film, puriste comme tétanisé par sa recherche de vérité, le second, non content de lui tendre le miroir de sa jeunesse ayant joué les filles de l’air, oppose une décontraction faisant fi des scrupules. De quoi libérer le potentiel comique du film, rencontrant en cela une inclination naturelle du réalisateur. « La comédie est un angle qui me convient pour aborder les choses, observe Baumbach. Certains de mes films sont partis dans des directions plus sérieuses, mais même alors, j’y ai instillé de l’humour. » Fût-ce en mode doux-amer. Comme auparavant dans Greenberg, c’est de crise existentielle qu’il est ici question, Ben Stiller faisant le lien entre les deux films. « Nous partageons pour bonne part une même sensibilité. Greenberg était vraiment une performance, un rôle très différent de ce qu’il avait fait par ailleurs. J’ai voulu cette fois jouer davantage de son iconographie comique, que j’ai introduite dans mon environnement pour essayer de l’explorer et l’approfondir. »

Voie à sens unique

Entre midlife crisiset conflit générationnel, le résultat se révèle on ne peut plus succulent, fort aussi de ces particularismes observés par Baumbach comme pour mieux les détourner. Ainsi, notamment, s’agissant de la culture hipster, qu’il s’approprie avec bonheur: « J’étais bien conscient que si j’essayais de m’y frotter de manière objective, la bataille serait perdue d’avance, tant les références changent à vitesse grand V. J’en ai donc imaginé ma propre déclinaison: je ne sais par exemple pas si les gens refont du patin à roulettes, mais cela me semblait approprié; cette pratique reviendra certainement si elle ne l’a déjà fait. » Et s’il y a là, sans nul doute, l’expression d’un regard en coin, cette vision déformante n’en paraît pas moins réaliste, tant le film semble inscrit dans le tissu new-yorkais contemporain, la ville y vibrant d’ailleurs comme rarement au cinéma. « New York est mon chez moi, opine le cinéaste. Que je sois en train d’y tourner ou que je m’y promène, je ressens quelque chose de fort à son égard. L’anthropologie des personnages et leur environnement étaient importants. Et puisque le documentaire était l’un des thèmes du film, je tenais à être cohérent. J’ai voulu montrer New York telle que je la vois, placer les gens dans la rue pour de vrai, et essayer de laisser la ville vivre et respirer autour du film. »

Manière, encore, de faire de The city that never sleepsla métaphore mouvante du temps qui n’attend pas -l’objet des affres de Stiller & cie. « Je n’ai pas traversé de crise de la quarantaine aussi aiguë, sourit Noah Baumbach. Mais beaucoup de mes amis sont dans cette tranche d’âge, et j’ai observé ou entendu des choses étranges dont j’ai voulu rendre compte à ma façon. L’âge mûr a ses avantages, mais il y a aussi des portes qui se referment définitivement, et c’est ce dont parle ce film: le compromis fait partie de l’existence, nous déclinons physiquement et on doit accepter que la vie est une voie à sens unique… »

Et tandis que ses protagonistes s’époumonent à courir après le temps, lui semble avoir trouvé le moyen de s’en accommoder, qui conclut: « A l’image de Frances Ha, je n’arrêtais pas de me demander, à l’époque de mes 20 ans, quand ma vie allait bien pouvoir commencer. J’éprouvais cette anxiété liée au fait que les choses semblaient aller trop vite, sans me laisser le temps de me réaliser. Aussi absurde soit-il, c’est un sentiment que l’on éprouve alors de manière vivace. Je pense que l’on peut trouver une certaine paix dans le fait de devenir plus âgé, et de ne plus ressentir cette urgence, pour se permettre d’être dans sa vie… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Londres

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