Et si le cinéma chinois était tout simplement le plus passionnant du moment?

Primés à la dernière Berlinale, Yong Mei et Wang Jingchun forment à l'écran un couple marqué par la tragédie.
Nicolas Clément
Nicolas Clément Journaliste cinéma

Avec So Long, My Son, Wang Xiaoshuai signe une saga familiale à l’ambition folle qui prend le pouls de la société chinoise tandis qu’elle accompagne sur quatre décennies un couple brisé par la mort de son enfant. Rencontre, à Berlin.

Et si le cinéma chinois était tout simplement le plus passionnant du moment? Après Bi Gan à Cannes l’an dernier et le prodigieux tour de force de son Long Day’s Journey into Night ouvrant à lui seul un fascinant éventail de possibles cinématographiques -cet hallucinant plan-séquence final de près d’une heure en 3D! Après Hu Bo, le suicidé, auteur en avril dernier avec An Elephant Sitting Still d’un chef-d’oeuvre monstre d’une absolue noirceur à même d’affoler tous les baromètres cinéphiles. Voici donc le retour certes attendu, mais pas à de pareils sommets, de Wang Xiaoshuai (Beijing Bicycle, Shanghai Dreams), qui signe avec l’incroyable So Long, My Son une immense fresque feuilletonnante de plus de trois heures couvrant quatre décennies d’une histoire familiale marquée du sceau de la tragédie. Une odyssée intime touchée par la grâce, et miraculeusement passée entre les mailles du filet de la censure chinoise, qui est repartie de la dernière Berlinale auréolée d’un double prix d’interprétation -féminin pour Yong Mei, masculin pour Wang Jingchun- avant, notamment, de décrocher le Grand Prix du dernier BRIFF à Flagey.

Film-puzzle à la sidérante ampleur dont les pièces s’ajustent au fil du récit, So Long, My Son cueille Liyun et Yaojun au début des années 80, alors qu’ils forment un couple uni et épanoui. Mais la mort accidentelle de leur fils, associée à la décision du régime de mettre en place la politique de l’enfant unique, va les précipiter dans d’insondables tourments dont ils ne se relèveront jamais tout à fait. Durant plus de 30 ans, tandis qu’ils tentent de se reconstruire, leur destin va être irrémédiablement lié à celui de la Chine contemporaine, dont le film dessine en filigrane le visage changeant. « C’est une histoire qui couvre un très vaste pan temporel, concède Wang Xiaoshuai alors qu’on le retrouve à l’intérieur même du Berlinale Palast en février dernier. À l’origine, j’avais écrit le scénario de façon tout à fait linéaire et l’intrigue était supposée se dérouler de manière absolument chronologique. Mais j’ai eu le sentiment que ça ne fonctionnerait pas. J’ai donc tout réécrit dans le sens d’un va-et-vient permanent sur la ligne du temps. C’était pour moi la seule façon valable d’englober plusieurs décennies d’histoire intime et collective de manière cinématographique. »

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Et le film, en effet, de multiplier les sauts temporels avec une limpidité exemplaire, tissant patiemment la trame d’un mélodrame à l’intensité lancinante hanté par la culpabilité et la mort, le couple au coeur du récit se retrouvant sans arrêt confronté à ce qu’il aurait dû vivre avec son fils perdu. « La politique de l’enfant unique a été une réalité en Chine pendant près de 40 ans, puisqu’elle a été mise en oeuvre dès la fin des années 70 pour n’être abandonnée que tout récemment, en 2015. Les raisons de l’instauration de cette très autoritaire politique de contrôle des naissances font débat, mais ce sont surtout ses conséquences directes sur les moeurs de la société chinoise qu’il m’importait d’étudier. Elle a entraîné beaucoup de changements dans les relations humaines et familiales, ainsi qu’au niveau de l’éducation elle-même. Aujourd’hui, bien sûr, les choses sont différentes. Il est à nouveau permis d’avoir un deuxième enfant. Mais les moeurs et les mentalités ne vont pas subitement redevenir comme elles étaient avant la mise en place de cette politique. Tout cela laisse des traces. Et puis beaucoup de jeunes couples aujourd’hui préfèrent n’avoir qu’un seul enfant afin de continuer à profiter de la vie au maximum. »

Regarder en arrière

Explorant des thématiques complexes et graves, So Long, My Son pourrait pourtant bien être, en un sens, le film le plus optimiste et le plus lumineux de son auteur. Comme un appel vibrant à faire la paix avec le passé et ses drames, à grande comme à petite échelle, sans pour autant en gommer les plus douloureuses aspérités. « Disons que j’ai toujours été très intéressé par le concept de changements sociaux, prolonge le réalisateur. En Chine, les gens ont trop souvent tendance à considérer que ce qui leur arrive est le seul fait du destin. Ils ont coutume de dire qu’il faut oublier le passé et regarder vers l’avant. Le pays a connu des développements économiques très rapides ces dernières décennies, et ceux-ci ont modifié les habitudes de vie en profondeur. Je pense personnellement qu’il est dangereux de ne jamais regarder en arrière. Nous avons besoin de nous souvenir et de penser le passé pour accueillir avec un minimum de sérénité les évolutions de la société. À vrai dire, je considère qu’il relève même de ma responsabilité, en tant que cinéaste, de me poser en observateur le plus objectif possible de notre Histoire afin d’attirer l’attention des gens mais aussi des autorités sur la nécessité de se référer au passé pour éviter de reproduire certaines erreurs. Ou d’en créer de nouvelles. Vous comprendrez aisément que si le gouvernement lui-même ne fait pas preuve d’esprit analytique et rationnel, les choses peuvent très rapidement devenir hors de contrôle. C’est quelque chose que je trouve particulièrement effrayant… »

So Long, My Son. De Wang Xiaoshuai. Avec Yong Mei, Wang Jingchun, Ai Liya. 3h05. Sortie: 24/07. ****(*)

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