FILS SPIRITUELS, ET FANS DE HIP HOP, DES BAD BRAINS, DEUX AFRO-AMÉRICAINS DU NEW JERSEY ENTRECHOQUENT RAP ET PUNK HARDCORE DANS UN COCKTAIL EXPLOSIF QUI MET LA TÊTE À L’ENVERS. DROGUES, NÉCROPHILIE ET MOSH PIT…

Le clip sanguinolent, cannibale et nécrophile de Da Blue Nigga From Hellboy ne ment pas sur la marchandise. Trash punk, freak hip hop, aggro rap… Appelez ça comme vous voulez. Ho99o9 a le sens de l’extrême et s’il a glissé des 9, des 6 à l’envers, dans son nom de scène à la place des R, c’est autant parce que Horror était déjà pris que pour signifier son refus de tout dogme, idéologie ou doctrine. Pas de dieu, pas de maître. Mais bon, punk ou rappeur le duo du New Jersey? « Les deux, revendique The OGM, 30 ans, sous sa tignasse de rasta. On a grandi avec le rap. On vient du ghetto. Mais on a comme tout le monde été exposés au punk et au rock via MTV. De là d’où on vient, si tu en écoutais, tu étais considéré comme un mec chelou. On a vraiment pénétré ce monde en assistant à des petits concerts new-yorkais. »

« Personnage tout droit sorti d’un conte de fée industriel et fétichiste », décrit le LA Weekly mettant le doigt sur sa théâtralité morbide, The OGM vient d’Elizabeth mais a passé le plus clair de son enfance à Linden, patelin de 40 000 habitants dont est notamment originaire le meurtrier et serial killer présumé Robert Zarinsky. « Mes parents viennent d’Haïti. On connaît l’histoire. Ils ont dû se battre comme tous les étrangers qui arrivent aux Etats-Unis. Ça n’a définitivement pas été facile. Ma mère est infirmière. Mon père a toujours bossé pour la même boîte. Rien de très sexy ou joli. Tout est compliqué dans le ghetto. Trouver un job, aller à l’école… Tout est une putain de bataille. »

Comme son pote The OGM, Eaddy a grandi au milieu des dealers et des gangs. Eaddy vient de Newark. Mère travailleuse sociale. Père qui enchaîne les tafs peu glorieux. « On n’est pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche. Pas plus qu’on a grandi le cul dans le beurre. On vient de communautés urbaines, pas de familles friquées. Fallait qu’on parvienne à se sortir tôt ou tard de cet environnement craignos. C’était vraiment dingue. Je ne sais pas ce qu’on serait devenus. Avoir un but nous a sauvés. »

Eaddy, c’est la moitié crête d’Ho99o9. Celui qui a traîné son comparse dans les concerts d’un New York do-it-yourself et underground à la rencontre des Japanther, The Death Set et autre Cerebral Ballzy… Avant de fonder leur duo sauvage, d’enchaîner les stage diving inconscients et les saltos beuglants, les deux hommes ont commencé par organiser des concerts sous la bannière du NJ Street Klan. « Ah mec, ça, ce sont nos racines, reprend The OGM. On a commencé à traîner avec quelques potes à nous. C’était en 2009-2010. On a chopé des connexions sur New York en expliquant à tout le monde qu’on voulait créer notre propre scène au New Jersey. Il n’y avait rien de tout ça dans notre communauté. On est donc devenus un collectif d’artistes qui faisaient bouger les choses, qui se créaient leurs propres plateformes d’expression. On a monté les fêtes les plus dingues, organisé les concerts de punk et de rap les plus oufs… »

« J’entendais en permanence du verre se casser, déclarait au Weekly la gérante d’une galerie, downtown Newark, où le Klan avait ses habitudes. Elle a fini par renoncer. Ainsi s’en allaient de nouvelles fenêtres… » « On a exposé les gens à ce qu’on aimait, résume The OGM. Parce que les mecs du ghetto, ils ne connaissaient, ne voyaient et n’entendaient rien de tout ça. Quand tu te bouscules chez nous, normalement, ça mène tout de suite à la baston. Mais quand tu vas à un concert, que c’est cool, que tu vois les gens se rentrer dans le lard dans l’amitié, la fraternité voire l’amour, tu t’adaptes au mood. »

Bad Brains du rap

The OGM et Eaddy sont aussi cool et relax dans le petit salon au bar de leur hôtel qu’ils sont excités, tendus et névrosés sur scène. Comme échappés d’un hôpital psychiatrique pour grands zinzins irrécupérables. « On a été voir beaucoup d’artistes qui nous ont pris par les couilles, affirme le premier. Des mecs qui exprimaient toute leur colère ou d’autres sentiments avec le plus profond d’eux-mêmes. C’est marrant. Les gens qui regardent les choses depuis l’autre côté ne comprennent pas et nous trouvent complètement sauvages. Alors que si tu es un passionné de musique et que tu paies des tickets de concerts, c’est pour devenir complètement dingue devant des groupes comme le nôtre ou les Bad Brains. »

Accompagné live d’un batteur, Ho99o9 fait quasiment avec le rap ce que le groupe de Washington DC emmené par quatre Afro-Américains rastafariens faisait jadis avec le reggae: l’associer à la fureur du punk hardcore. « Les Bad Brains ont clairement exercé une énorme influence sur nous, reconnaît Eaddy. J’allais déjà voir pas mal de groupes à New York. Pas aussi gros mais appartenant à cette communauté. Et l’un d’entre eux a repris la chanson Attitude. Ce morceau est une tuerie. Donc, le lendemain, j’ai cherché à donf sur le Web et je suis tombé sur les Bad Brains. Je me suis dit: c’est quoi ce bordel? Ce ne sont pas les mecs d’hier. A l’époque, je ne savais pas que les groupes reprenaient des morceaux des autres. J’ai cliqué et je suis tombé sur leur performance de Noël au CBGB. C’était dingue. Des sauvages avec des dreads. Je n’avais jamais vu un truc pareil. Je suis devenu addict. »

« Il n’y a définitivement pas beaucoup de Blacks aux concerts de rock mais parfois tu croises des Noirs qui portent des slims, qui font du crowdsurfing et des mosh pits, note son complice. En même temps, qu’ils soient blancs, noirs ou jaunes, tant que c’est tendu, nous, on est heureux. »

« This is the apocalypse »

L’énergie destructrice du punk s’insinue avec insistance ces dernières années dans la scène hip hop américaine à coups de sonorités agressives, de morceaux épileptiques, de clips provocateurs, trash parfois même gore. Le croisement entre le rock et le rap n’est pas une nouveauté. En 1986, Run DMC collaborait déjà avec Aerosmith. Les Beastie Boys, qui venaient du punk hardcore avant de se lancer dans le hip hop, sortaient leur premier album studio, Licensed to Ill, produit par Rick Rubin, fondateur du label Def Jam. Rapmetal, Rapcore… Les années 90 ont ensuite été celles de Faith No More, de Rage Against the Machine. Ou, politiquement plus correct, de Linkin Park et de Limp Bizkit. Une histoire de blancs en somme. Fred Durst est même fils de flics… « On en parle souvent entre nous, avoue The OGM. Dès qu’il y a un poulet dans les parages, on se sent mal à l’aise. Ils sont censés nous protéger et ils nous font flipper. T’es là, t’es cool, t’emmerdes personne, mais tu es bizarre quand tu aperçois un keuf. » Les deux lascars rigolent. Pas traumatisés non plus, eux qui peuvent se produire dans les squats les plus pourris comme au prestigieux Museum of Contemporary Arts de Los Angeles.

Au-delà de sa théâtralité, de sa volonté de choquer pour interpeller (ça devient de plus en plus compliqué), on ne peut s’empêcher de penser que ce hip hop agressif et horrifique est le reflet d’une société tout aussi violente. Ho99o9, qui a intitulé son album Dead Bodies in the Lake, rappe drogues, sexe, meurtres, nécrophilie… « Don’t want your money, just the sound of hearing you bleed » (« je ne veux pas ton argent, juste le son que tu fais lorsque tu perds ton sang »). Il expose aussi sa relation conflictuelle avec l’autorité comme pour mieux se présenter. « Fuck your politics. This is the apocalypse. »

Onyx, DMX, Method Man, le Wu-Tang, Minor Threat, Black Flag, Cülo… On ne trouve pas que les Bad Brains dans l’ADN et la discothèque des deux furieux. « J’aime le rap. J’aime le trap. Et en même temps, on adore des trucs sombres et trash. On est en 2016. Il y a tellement de portes ouvertes. Tellement de gens qui font de la musique. Tellement de trucs accessibles sur le Net. »

Comme Tyler the Creator, The OGM et Eaddy sont plutôt ouverts d’esprit. Ils classent leurs disques par genre: rap, soul, classic rock, punk hardcore… « On a même une section Michael Jackson et une branche GG Allin… Quand j’ai entendu parler de ce mec pour la première fois, je me suis dit: c’est quoi ce bordel? Mais quand j’en ai su davantage à son sujet, j’ai compris qu’il était tellement intense que même les docus punk ne parlaient pas de lui. Trop extrême. Trop punk pour les punks. »

En guerre contre l’aristo-rap avec leur hip hop pour blousons noirs, Ho99o9 croit toujours en la crête et l’épingle à nourrice. « Si tu regardes derrière tous ces enfoirés qui font de la daube, les punks sont toujours bien vivants. Il en reste des vrais comme dans les années 70 ou 80. Je n’aime pas les qualifier d’underground. Ce qu’ils font est si bon. C’est juste une autre communauté. Un autre monde que celui, aseptisé, auquel on est trop souvent confrontés. »

Le 17/07 au festival de Dour (15 h 55, La Petite Maison dans la prairie).

RENCONTRE Julien Broquet, À Austin

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