À L’OCCASION DU TRENTIÈME ANNIVERSAIRE DE SA DISPARITION, LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE CONSACRE UNE LARGE EXPOSITION À FRANÇOIS TRUFFAUT, CINÉASTE ESSENTIEL DONT L’oeUVRE N’A CESSÉ DE RAYONNER,AU-DELÀ DE CETTE NOUVELLE VAGUE DONT IL FUT LE SYMBOLE…

A l’instar d’Alfred Hitchcock, à qui il consacra un livre fameux d’entretiens continuant à faire autorité, François Truffaut compte parmi les rares cinéastes dont la notoriété a été sanctionnée par le langage courant. Ainsi, de même que l’on parle de suspense « hitchcockien », évoquera-t-on un film « truffaldien », avec ce que cela suppose comme appel du romanesque. Soit l’un des traits dominants d’une oeuvre fascinante et cohérente de 21 longs métrages et quelques courts, restée par ailleurs inachevée, l’auteur s’éteignant le 21 octobre 1984, âgé de 52 ans à peine.

A l’occasion du trentième anniversaire de sa disparition, la Cinémathèque française consacre une vaste exposition au cinéaste (1); une initiative d’autant plus judicieuse qu’elle s’appuie sur les inépuisables archives d’un Truffaut ayant ajouté aux casquettes de cinéaste, producteur ou acteur, celle de collectionneur compulsif. En l’occurrence, c’est bel et bien une vie de cinéma qui se donne à apprécier, expérience biographique et pratique artistique se confondant bientôt, au point qu’il serait tentant de voir en François Truffaut un « homme-cinéma », à l’image de ces « hommes-livres » qu’il mit en scène dans Fahrenheit 451, son adaptation de Ray Bradbury. De ce postulat, la scénographie conçue par Serge Toubiana, le commissaire de l’exposition, rend d’ailleurs limpidement compte, en un parcours chronologique s’ouvrant avec l’enfance buissonnière pour remonter ensuite le fil de l’existence du réalisateur du Dernier métro, entre désertion et cinéphilie active; des premiers pas dans la critique (à Cinémonde, notamment, où il publie, en 1953, un article sur Gloria Grahame) à la période, emblématique, des Cahiers; de la naissance de la Nouvelle Vague à la reconnaissance unanime. Le tout agrémenté de documents innombrables -correspondance, manuscrits, photos, extraits, interviews…- faisant de la visite un moment vraiment privilégié, qu’il s’agisse de découvrir, exemples parmi d’autres, le bout d’essai de Marie Dubois pour Tirez sur le pianiste; une lettre où il confie à Isabelle Adjani, future interprète de L’Histoire d’Adèle H., « sortant de La Gifle, j’ai eu la conviction que l’on devrait vous filmer tous les jours, même le dimanche »; ou encore ses échanges nourris avec Henri-Pierre Roché, dont il allait adapter Jules et Jim, bien sûr, mais encore Deux Anglaises et le continent.

Le mystère de l’oeuvre

Il suffit, du reste, de revoir l’extrait des 400 coups où Antoine Doinel invoque le décès -pure invention circonstancielle- de sa mère, pour (re)tomber sous le charme, irrésistible, d’une oeuvre à l’essence toute personnelle. Comme l’écrit Noël Simsolo dans la notice du Dictionnaire de la Nouvelle Vague consacrée à François Truffaut, « son enfance a servi d’inspiration à sa première réussite et, depuis, il n’a pas cessé de se raconter derrière des fictions en un mélange de pudeur et de faux narcissisme. » C’est là l’une des lignes de force épinglée par Serge Toubiana qui, évoquant « le mystère le plus excitant de l’oeuvre de Truffaut », en donne l’une des clés: « La chose écrite se mêle à l’image et au récit, s’entremêle avec ce qui relève de l’expérience proprement biographique, ainsi que des éléments provenant de la vie même, pour élaborer la matière romanesque de ses films. » Singulière alchimie d’un cinéma « tatoué par l’écriture, tant l’écriture littéraire est la chair et le sang de son inspiration, le point où s’origine son désir de cinéaste et sur lequel il vient sans cesse buter ou se ressourcer », et dont la part intime réussit à parler à chacun, par-delà les époques d’ailleurs. Ainsi, bien sûr, quand Truffaut embrasse l’enfance, l’un des thèmes récurrents de son cinéma, décliné des 400 coups en L’Enfant sauvage et autre Argent de poche. Ou encore lorsqu’il s’affaire, film après film, à l’éducation sentimentale d’Antoine Doinel/Jean-Pierre Léaud, geste cinématographique inscrite dans la durée, elle qui, passée les présentations dans Les 400 coups en 1959, se poursuivra d’Antoine et Colette, en 1962, à L’Amour en fuite, en 1978, donnant incidemment à l’oeuvre sa clé de voûte. Ou, bien sûr, lorsqu’il étreint cette passion amoureuse qui lui fera dire « je veux que mes films donnent l’impression d’avoir été tournés avec 40° de fièvre »; une passion dont les feux embrasent une bonne part de sa filmographie, de Jules et Jim à La Femme d’à côté, et sa réplique définitive, « Ni avec toi ni sans toi », ouvrant, comme son cinéma, sur un abîme d’émotions. Si bien, d’ailleurs, que l’oeuvre est inépuisable, où l’on se replonge avec un bonheur toujours réinventé.

L’idéal de l’indépendance

Au-delà de cet accomplissement, si Truffaut fait aujourd’hui office de figure tutélaire de tout un pan du cinéma français, c’est peut-être aussi parce qu’il représente l’idéal d’un cinéaste ayant pu mener sa carrière en toute indépendance. Une autonomie gagnée dès Les400 coups, produit avec sa société des Films du Carrosse, et dont le succès lui vaudra d’avoir, par la suite, les coudées franches. Quitte, d’ailleurs, à s’écarter sensiblement, le temps aidant, des préceptes de la Nouvelle Vague, laissant la modernité esthétique et les interrogations sur le langage cinématographique à Godard, pour aller vers un plus grand classicisme, sans pour autant en rien se renier ni y sacrifier l’exigence artistique. Evolution dont l’exposition se fait bien sûr l’écho à mesure que s’alignent les titres d’une filmographie, certes parfois inégale, mais dont l’intérêt ne devait jamais se démentir -jusqu’à Vivement dimanche!, testament en noir et blanc dispensant, sur les pas de Fanny Ardant et Jean-Louis Trintignant, un plaisir à la saveur tenace. « Je fais des films pour réaliser mes rêves d’adolescent, pour me faire du bien et, si possible, faire du bien aux autres », disait encore François Truffaut. C’est peu dire qu’il aura réussi au-delà de toute espérance…

(1) EXPOSITION FRANCOIS TRUFFAUT, JUSQU’AU 25 JANVIER 2015 À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, RUE DE BERCY, 51, PARIS. WWW.CINEMATHEQUE.FR

EN MARGE DE CETTE EXPOSITION, ARTE, PROGRAMME, DU 27 OCTOBRE AU 7 NOVEMBRE, UN CYCLE HOMMAGE À FRANÇOIS TRUFFAUT, AVEC NOTAMMENT TROIS DE SES LONGS MÉTRAGES, LES 400 COUPS, LA PEAU DOUCE ET LE DERNIER MÉTRO.

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Paris

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