AUTOUR DU RAPT DE DEUX FILLETTES, DENIS VILLENEUVE SIGNE UN THRILLER VIRTUOSE ARPENTANT, TOUT EN NOIRCEUR, LA PSYCHÉ AMÉRICAINE CONTEMPORAINE.

Prisoners

DE DENIS VILLENEUVE. AVEC JAKE GYLLENHAAL, HUGH JACKMAN, PAUL DANO. 2 H 33. DIST: BELGA.

8

Changement de cap sensible, pour le cinéaste canadien Denis Villeneuve: après le formidable Incendies, palpitant récit qui envoyait Lubna Azabal au Moyen Orient afin de percer un secret familial, le voilà qui s’essaye, avec Prisoners, au thriller hollywoodien -en mode particulièrement sombre s’entend. Tout commence par une froide après-midi de Thanksgiving lorsque, échappant à l’attention de leurs parents, deux fillettes se volatilisent de façon inexplicable dans une banlieue résidentielle américaine quelconque. La piste la plus sérieuse s’offrant à l’inspecteur Loki (Jake Gyllenhaal), en charge de l’enquête, tient en la présence à proximité, quelques heures plus tôt, d’un mystérieux camping-car. Mais lorsqu’il est retrouvé, le conducteur et principal suspect, Alex Jones (Paul Dano), un jeune déficient mental, est rapidement relâché, faute de preuves. Convaincu de sa culpabilité, Keller Dover (Hugh Jackman), le père de l’une des deux disparues, et pas le dernier des paranos, décide de mener l’enquête à sa façon…

Balayant tout l’éventail de la noirceur, la suite tient, pour ainsi dire, du cas d’école. Denis Villeneuve a, assurément, le chic pour installer une atmosphère oppressante et malsaine. Et le scénario n’est certes pas avare en rebondissements, venus relancer une intrigue-gigogne touffue -le labyrinthe est d’ailleurs la figure matricielle du film. C’est là, toutefois, que Prisoners trouve paradoxalement sa principale limite: s’il brasse d’intenses et universelles interrogations morales, questionnant notamment la banalité du mal, le récit semble dicté à l’excès par la logique arbitraire de coups de théâtre à répétition. De quoi en diluer quelque peu l’intérêt, sans pour autant en entamer fondamentalement l’efficacité, soutenue par une mise en scène au cordeau: voilà bien un film dont le spectateur reste rivé à son fauteuil tout au long des 2 h 30 que dure son mano a mano.

Duel

Dans des compléments maigrichons, Villeneuve envisage d’ailleurs Prisoners sous l’angle du duel: « Cela aurait pu être un western », explique-t-il, Hugh Jackman et Jake Gyllenhaal campant les figures du cowboy et du shérif. Lecture rendue d’autant plus séduisante par la composition des deux acteurs -Gyllenhaal, en particulier, se révèle tout bonnement phénoménal, dominant une distribution mastoc où l’on croise encore Melissa Leo ou Viola Davis. De l’Ouest à l’Est sauvage -l’affaire se déroule à Boston, en effet-, il n’y aurait dès lors qu’un pas, pour un thriller virtuose arpentant la psyché américaine contemporaine et lorgnant ouvertement vers le Zodiac de David Fincher et le Mystic River de Clint Eastwood, sans pour autant atteindre à leur suffocante densité.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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