LE RÉALISATEUR CANADIEN REMONTE AUX SOURCES DE LA PSYCHANALYSE DANS A DANGEROUS METHOD, UN FILM QUI A LES APPARENCES DU CLASSICISME ET OPÈRE LA SYNTHÈSE DE SON CINÉMA.

Avec A Dangerous Method, c’est à un exercice fascinant que s’est livré David Cronenberg. Le réalisateur canadien ne se borne pas à y explorer la relation qui devait lier, au début du siècle dernier, Freud et Jung, les pères de la psychanalyse (à qui il convient d’ailleurs d’ajouter Sabina Spielrein, omniprésente dans le film). Il y opère aussi, en quelque sorte, la synthèse de son cinéma, dont il brasse les thématiques familières. Toutes considérations évoquées au lendemain de la projection vénitienne du film, lors d’un entretien détendu.

Etiez-vous plus particulièrement intéressé par Freud ou par Jung?

Leurs théories me fascinaient tout autant, mais j’en connaissais sensiblement plus sur Freud, qui est le père de la psychanalyse, Jung n’étant venu que plus tard. Une fois que j’ai découvert la structure dramatique de The Talking Cure, la pièce de Christopher Hampton (à la source du film), mon intérêt pour Jung s’est accru. Fondamentalement, c’est son film, son histoire, même si ce n’est pas vraiment en ces termes que je l’envisage: il est tellement rare, de nos jours, de trouver un film dont tous les protagonistes évoluent à ce niveau d’intelligence. Quant à savoir si je me sens plus proche de l’un ou de l’autre, la réponse est évidemment Freud, qui avait d’ailleurs très bien anticipé ce qu’allait devenir Jung, à savoir quelqu’un tenant plus du leader religieux que du médecin ou du psychanalyste. Jung était fort concerné par la spiritualité, et l’accomplissement spirituel, c’est d’ailleurs pourquoi il est devenu si populaire dans les années 60, c’était en quelque sorte l’èthos de l’époque. Mais pour ce qui est de la compréhension réelle de la condition humaine, j’ai le sentiment qu’il cherchait à s’évader de cette condition.

Dans quelle mesure la psychanalyse vous est-elle familière? Et que pensez-vous du fait que ses détracteurs y voient à la fois un exercice libérateur, mais aussi un piège?

C’est là une attitude fort humaine, que l’on pourrait appliquer à nombre de nos activités: il y a un côté libérateur, dans un premier temps, qui peut se muer en obsession. Et il y a des gens qui deviennent accros à la psychanalyse. Freud n’avait jamais envisagé que des gens puissent passer 30 ans en analyse comme Woody Allen ( rires). Cela l’aurait fait rire. Pour lui, il s’agissait de faire le nombre de sessions appropriées pour répondre à un problème, mais il n’avait pas raisonné en termes d’années. Quant à moi, je n’ai jamais suivi d’analyse. Il s’agit, à mes yeux, d’un outil auquel on recourt si l’on en a besoin, et je n’en ai jamais ressenti la nécessité.

Considérez-vous vos films comme une thérapie alternative?

Non, je ne les approche pas en ces termes. Ils peuvent être cathartiques, et vous donner l’occasion de jouer avec certaines choses, ou d’en exprimer d’autres. Mais le cinéma ne correspond pas, pour moi, à l’idée exacte de thérapie, à savoir de corriger un mal.

Dans quelle mesure la psychanalyse a-t-elle nourri votre cinéma?

L’emphase mise par Freud sur les rêves a attiré différents types d’artistes: l’influence qu’il a eue sur Dali est évidente, et admise. Et de nos jours, quelqu’un comme Bernardo Bertolucci dit utiliser des méthodes psychanalytiques pour tourner des films. Je ne suis pas sûr de savoir comment il procède, mais je le crois. En ce qui me concerne, ayant grandi au XXe siècle, l’influence de Freud est évidemment considérable. Comme le film le suggère, sa pensée était considérée comme fort révolutionnaire, mais aussi, par beaucoup de gens, comme dangereuse, perverse et perturbatrice. Il a parlé de la sexualité enfantine, de l’inceste, de l’abus d’enfants à une époque où personne n’admettait qu’un enfant puisse même avoir une sexualité. Son influence dans la pensée était considérable, et j’ai moi aussi absorbé des éléments de compréhension apportés par la pensée freudienne. Mais je ne parlerais pas d’influence au sens où vous semblez le suggérer.

C’est-à-dire?

Pour moi, les artistes et les psychanalystes évoluent dans des registres parallèles, ils font la même chose. En tant qu’artiste, il y a une version admise et officielle de la réalité que vous n’acceptez pas. Et vous vous interrogez: s’il s’agit là d’un niveau d’une société en fonctionnement, que se passe-t-il en dessous de la surface, je ressens des choses dont les gens ne parlent pas. Par exemple, dans ma jeunesse, pendant les années 50 à Toronto, le rock’n’roll était important parce qu’il abordait des sujets dont on ne parlait pas: la drogue, le sexe, un tas de choses. Ce n’est donc pas tellement une influence que le fait que nous faisons la même chose, mais dans un contexte différent.

Jusqu’où A Dangerous Method constitue-t-il une carte de vos autres films?

Intellectuellement, je peux le comprendre, mais ce n’est pas vraiment quelque chose dont je me soucie. Mes films antérieurs n’ont aucune pertinence quand je m’attèle à une nouvelle production. Chaque film vous dit ce dont il a besoin. A titre d’exemple, utiliser la technique à laquelle j’avais recouru pour Crash sur ce film-ci n’aurait eu aucun sens. C’est un type de projet singulier, avec une sensation autre, il s’agit d’un film d’époque, où l’on essaye de créer le sens de cette époque, ce qui requiert des choses différentes.

Considérez-vous chacun de vos films comme un nouveau défi en termes de mise en scène? Avez-vous envisagé celui-ci comme une façon de faire quelque chose de sensiblement plus classique dans son style et ses émotions?

Non, je ne raisonne pas en ces termes, et je n’analyse guère tout cela. Quant à savoir pourquoi je tourne ce film à ce stade de ma carrière, cela m’aurait intéressé de le faire il y a 15 ans si la pièce avait déjà existé. Il m’a, par exemple, fallu 10 ans pour réunir le financement de Dead Ringers, sans quoi je l’aurais tourné bien plus tôt, le scénario était prêt. Un réalisateur ne se trouve pas dans une situation où il peut se dire qu’il va faire telle ou telle chose à un moment donné, parce que cela lui paraît opportun à ce stade de son parcours. Monter des projets et trouver un financement est beaucoup trop difficile. Peut-être que Spielberg peut le faire, mais ce n’est le lot que de fort peu de personnes.

ENTRETIEN JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content