La mariée était en noir

© JFoley-POL

Nathalie Léger consacre à l’artiste performeuse italienne Pippa Bacca une enquête biographique idéalement perturbée. Prix Wepler 2018.

Au départ, il y a le projet, gratuit et complètement fou, d’une jeune performeuse italienne, partie de Milan pour rejoindre Jérusalem en auto-stop, habillée en mariée: Pippa Bacca (son nom d’artiste) voulait apporter la paix dans les pays ayant connu la guerre. Son but était d’aller à la rencontre des sages-femmes et, tout en leur lavant les pieds, de les interroger sur le sens de la naissance et de la vie. Et puis il y a cette issue tragique, quand on retrouvera la jeune mariée étranglée dans un fossé au sud d’Istanbul, le corps déshabillé et violé. Pippa Bacca a-t-elle inutilement confondu l’art et la vie, comme certains le prétendent? Quand elle découvre l’histoire de l’artiste milanaise, Nathalie Léger sait aussitôt qu’elle interrogera son geste inexplicable et fracassant. Après L’Exposition (sur la comtesse de Castiglione, héroïne oubliée du Second Empire dont on conserve plus de 150 photographies) et Supplément à la vie de Barbara Loden (une enquête consacrée à la magnifique actrice et réalisatrice du film unique Wanda), Pippa Bacca apparaît à la romancière comme une révélation. Difficile, en effet, de ne pas trouver ici trace de l’obsession qui traversait ses livres précédents, soit un intérêt pour des histoires de vies brisées, de fragilité et d’errance au féminin singulier. Quelque chose d’une méthode, aussi: Nathalie Léger se méfie du linéaire, de l’asséné, autant que des récits qui entendraient ordonner et résoudre une fois pour toutes le détail des existences. La brièveté de ses livres le montre d’ailleurs. Ainsi que leur genre, moins biographie qu’évocation, moins essai que fragments: il s’agit pour elle d’esquisser diverses lignes thématiques à partir d’une existence.

La mariée était en noir

Les illusions perdues

Après la photographie et le cinéma dans les livres précédents, la trajectoire de Bacca lui permet ainsi notamment d’interroger la performance, et la manière dont les femmes en particulier y engagent leur corps (le livre cite les artistes Marina Abramovic, Sophie Calle et Niki de Saint-Phalle, qui toutes ont malmené la robe blanche en tant que support passager et virginal des illusions).

Alors que Léger avance dans son sujet, sa mère fait irruption dans le récit. Pippa Bacca voulait expier toutes les souffrances; la mère de la romancière exige à son tour réparation. Elle demande à sa fille de la prendre en considération dans son projet de livre, et de venger, en l’écrivant, sa propre tragédie: celle d’une épouse bafouée.  » Ma mère à la fin de sa vie a voulu en avoir le coeur net. Avait-elle été victime d’une injustice, ou était-elle responsable de son malheur? (…) j’ai fini par dire: un malheur banal, on est d’accord? Elle était d’accord -mais un malheur quand même. » D’abord parasite, l’intervention de la mère apparaît peu à peu comme une nouvelle opportunité narrative qui vient se mêler fluidement au fil initial. À travers ce dialogue familial (une fille peut-elle endosser la douleur de sa mère?), Léger suggère un prolongement intime à l’une de ses questions centrales (est-ce aux artistes, telles Pippa Bacca ou elle-même, de racheter la noirceur du monde?). Sous couvert de brouiller et perturber les pistes, le propos de La Robe blanche est en réalité d’ouvrir de plus en plus de perspectives. La blancheur par la cendre, en quelque sorte.

La Robe blanche

De Nathalie Léger, éditions P.O.L., 144 pages.

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