QUATRE ANS APRÈS POLISSE, MAÏWENN SIGNE SON FILM LE PLUS ABOUTI, S’INSINUANT, AVEC MON ROI, AU CoeUR D’UNE PASSION AMOUREUSE PORTÉE À INCANDESCENCE DESTRUCTRICE PAR EMMANUELLE BERCOT ET VINCENT CASSEL.

Maïwenn n’a pas bonne presse, son image d’empêcheuse d’interviewer en rond n’étant plus à colporter; le genre à balancer, fissa et sans chercher à masquer son ennui, des réponses expéditives -on garde ainsi le souvenir d’une non-rencontre cannoise autour de Polisse, entretien ayant rapidement viré au long chemin de croix. C’est dire la surprise éprouvée en la découvrant, début octobre, détendue et large sourire, dans un salon d’un hôtel namurois -elle accompagne Mon roi au Festival du francophone. « L’attachée de presse m’a dit que j’avais la réputation de ne pas beaucoup répondre aux questions, entame-t-elle, franco. Et c’est vrai, parce que le plus souvent, on me demande pourquoi j’ai fait un film, et je ne sais pas. C’est comme avec l’amour: quand je suis amoureuse de quelqu’un, je n’arrive pas à trop savoir pourquoi, c’est très irrationnel. Et si j’analyse trop les raisons, je me casse. Pour moi, le fait de ne pas savoir alimente un mystère, ce mystère alimente le désir, et le désir devient obsessionnel. Si tourner certains films devient une obsession, c’est que j’ignore pourquoi ils m’obsèdent. Et la seule façon de me débarrasser de cette obsession est de les faire. Mais les analyser et savoir le pourquoi, c’est un autre état d’esprit, que je n’ai pas, et ne ferai rien pour avoir. »

Les coups de foudre…

Venant quatre ans après Polisse, le film qui lui avait ouvert les portes d’une reconnaissance plus large, Mon roi, le quatrième long métrage de la cinéaste et l’histoire d’une passion amoureuse toxique, marque une évolution sensible dans son cinéma (lire critique page 25). Et pas seulement parce que, pour la première fois, elle n’apparaît pas à l’écran: « Je voulais vraiment faire un film avec Emmanuelle (Bercot, à qui sa composition a valu le Prix d’interprétation à Cannes, NDLR), et de toute façon, c’était un rôle qui allait chercher dans l’abandon total, et je ne pense pas que l’on puisse s’abandonner tout en se faisant filmer, et diriger une équipe, c’est contradictoire. Mais n’allez pas y voir un tournant dans ma vie, où je me serais dit: « Après une trilogie narcissique, je ne vais faire que des films tournés vers les autres. » Je m’en fous si j’ai la réputation d’être narcissique, tous les artistes le sont. » Pour la petite histoire, la réalisatrice s’était d’ailleurs réservé un petit rôle, coupé au montage –« je me suis trouvée atroce. »

Terminé donc, fût-ce provisoirement, l’autofiction, étiquette qu’elle récuse comme les autres. Plus fondamentalement peut-être, alors queMaïwenn a déclaré un jour que chacun de ses films était né d’une révolte, il en va autrement de ce dernier. « J’ai évolué, et je fonctionne de façon un peu différente, observe-t-elle. J’ai fait mes trois premiers films sur le coup de la révolte et d’un coup de foudre. Le film me choisissait plus que je ne le choisissais. Du jour au lendemain, cela m’obsédait alors qu’ici, très clairement, non: c’est le fruit d’un long chemin psychologique. Tous les un ou deux ans, je repensais à ce film, je testais ma peur, mon envie, ma capacité de le faire. Pour me dire chaque fois que ce n’était pas le bon moment, n’ayant pas encore assez d’expérience ni comme cinéaste, ni comme scénariste. » Polisse viendrait changer la donne, dont elle confie que le tournage, très difficile, la laisserait tous les sens et ses désirs en vrac, sans plus de repères que de réflexes, à savoir, suivant ses propres termes « complètement anesthésiée ». « Je me suis alors demandé ce que devenait ce projet. Je n’avais fait que procrastiner depuis des années. J’ai nourri cette vieille envie, et je l’ai mise à jour. » Le hasard s’en mêle lorsque la réalisatrice tombe sur un livre traitant des douleurs sur le corps, qui lui suggérera l’articulation définitive de Mon roi: « A la page du genou, il était écrit: « Le genou est la seule partie du corps qui plie vers l’arrière, l’arrière c’est le passé, etc. » Cette phrase m’a semblé un peu bête au premier abord, mais elle m’a inspirée. Les choses très singulières sont souvent à deux millimètres du ridicule. Et j’ai songé à l’accident, aux flash-backs… », et à une reconstruction qui soit autant physique que morale.

… et la passion amoureuse

Bien qu’elle répugne à parler du pourquoi, l’irruption de la passion dans la filmographie de Maïwenn ne doit rien au hasard. « J’ai toujours pensé qu’à un moment donné, il fallait s’y coller. J’ai l’impression que chaque réalisateur, une fois dans sa carrière, a envie de faire une très grosse histoire d’amour. Tout comme j’ai envie de tourner un jour un film de guerre, un film d’action ou un huis clos intimiste. » Au passage, et histoire, dit-elle, d’assouvir sa curiosité, elle s’est enquillé un maximum de films tournant autour du sujet. « Au risque de paraître prétentieuse, je les ai trouvés assez niais. Quand les gens s’aiment au cinéma, je trouve cela mièvre. Cela commence à devenir intéressant quand les choses se déchirent, et que ce sont des amours impossibles. » Conséquente et refusant la facilité, elle a veillé à explorer le spectre complet d’une relation passionnelle étirée sur dix ans, manière d’en épuiser les jours heureux comme les gouffres -« Une passion, c’est fait de séparations et de retrouvailles.(…) J’ai voulu montrer que l’amour et le bonheur ne se donnent pas toujours la main, voire quasiment jamais« . En résulte un film sur le fil du rasoir, vibrant de ce désir qui lui dicte sa loi, et dont elle conclut qu’il la tient en vie: « Ne plus avoir de désir, ce serait la fin de tout… »

ENTRETIEN Jean-François Pluijgers

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