La Grande Pyramide

Cette session inédite de 1963 a été comparée par Sonny Rollins à « la découverte d’une nouvelle pièce dans la Grande pyramide ». Et la musique, en effet, y éblouit.

Mort prématurément en 1967 à l’âge de 41 ans, John Coltrane continue à créer l’événement avec la publication d’un album composé uniquement d’inédits déclinés sous différentes formes (1). Qui, un demi-siècle après son décès, aurait pu imaginer qu’il existait encore dans un tiroir une session de studio inédite de l’iconique saxophoniste, même si quelques discographes pointus en faisaient état? L’explication officielle nous dit que Coltrane aurait emporté avec lui la bande magnétique enregistrée, là où d’autres (tout aussi fiables) prétendent qu’elle a tout simplement été « oubliée » au domicile de l’ingénieur du son, Rudy Van Gelder, par tous les participants.

Titre phare de cette session, Impressions (quatre prises au total dont le master n’en est sans doute pas la meilleure) est aussi celui de l’un des plus grands albums de Trane qui en contient une affolante version live d’un quart d’heure. Il en va de même pour One Up, One Down (deux prises), dont nous ne connaissions l’existence que par des publications pirates avant la parution officielle, en 2005, d’un double CD qui lui emprunte son titre. Vilia (deux prises), ballade tirée de l’opérette La Veuve joyeuse de Franz Lehár, a, pour sa part, connu, semble-t-il, une première publication sur une compilation promotionnelle du label -ce qui est curieux pour une bande soi-disant « égarée ». Il faut ajouter encore un transcendant Nature Boy, un Slow Blues au nom sans doute provisoire et, en dehors des alternates précités, pas moins de cinq Untitled Originals passionnants qui complètent cet ajout magistral et inespéré à la discographie de l’un des plus grands musiciens du XXe siècle .

La Grande Pyramide

Pourtant, au-delà de l’événement archéo-discographique, ce que nous révèle cette session sur John Coltrane et son évolution, en dehors d’une flexibilité sidérante de la part du musicien (il peut en effet, pour certains titres, les jouer indifféremment au ténor ou au soprano et utilise déjà la flûte), c’est qu’à ce moment souvent considéré comme une transition entre deux phases intenses de sa courte carrière, le saxophoniste travaillait en réalité sur sa musique et son interprétation comme l’aurait fait un plasticien. Chaque titre (quelle qu’en soit la version) est en effet soumis à un intense travail formel au sein d’un quartette (McCoy Tyner, piano, Jimmy Garrison, basse, Elvin Jones, batterie) extraordinairement soudé et réactif, par un leader procédant comme l’aurait fait d’un morceau de marbre un sculpteur de la Renaissance en quête d’éternité.

John Coltrane

« Both Directions at Once: The Lost Album »

Impulse/ Verve LP de Luxe Edition (Universal).

10

(1) Elles vont du CD et du vinyle qui ne comprennent que les seuls Masters Takes aux éditions doubles dans les deux formats contenant la totalité de la séance d’enregistrement.

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