ANDY BURROWS SORT SON DEUXIÈME ALBUM AUX MÉLODIES SURDOUÉES, FRAPPÉ D’UN FORT PARFUM SEVENTIES. MAIS POURQUOI CE BRITON TRENTENAIRE N’EST-IL PAS ENCORE UNE POP STAR?

On devait se voir dans un lieu vaguement chic: il a finalement choisi un pub brunâtre qui passe de la vieille soul et propose de la saucisse-menthe au coeur de l’après-midi. The Fox à Haggerston, nord-est pas tout-à-fait mode de Londres. Il est seul à une table, tête de Jesus freak, caban de marin, sourire, une bière à portée de barbe idoine. A priori, pas le prototype de l’hyperkinétique, état qu’il mentionnera plus tard dans la conversation mais condition déjà attestée par une discographie galopante. Depuis 2004, Burrows a enregistré trois albums avec Razorlight, deux autres sous la bannière We Are Scientists, un au sein du duo Smith & Burrows, un de plus en version I Am Arrows et trois solos dont le nouveau sort ces jours-ci. Dix galettes en autant d’années: le débit est sixties/seventies, période où, pour rappel, on sort communément deux, trois « Long Playings »en quatre saisons. Dans ce cas-ci, les statistiques sont moins importantes que la radiologie des chansons. Assez indifférent au sort de Razorlight -indie pop anglais aux sept millions d’albums vendus où Burrows officie de 2004 à 2009 comme batteur-compositeur-, on craque pour sa deuxième sortie solo, Company, parue il y a juste deux ans. Les dix titres ronds et fruités, dopés d’une mélodie supérieure, ont l’innocence beachboysienne du fog anglais et le tchick a boum gluant de la meilleure pop FM américaine (lire par ailleurs). Sans être historique, la voix de Burrows détient le frisson suscitant d’emblée un sentiment, une vision, un paysage, un fantasme, de préférence océanique. On passe le machin en boucle comme un trésor salvateur, tellement loin des groupes infoutus de composer une CHANSON. Hometown, par exemple, hisse les mines endémiques de la mélancolie vers un destin solaire: virtuellement, les quatre minutes méritent un tube mondial. « J’ai enregistré ce disque pour un « petit label » (Pias). Donc j’étais déjà satisfait de pouvoir exister. J’imaginais même que personne ne pourrait l’écouter, et le fait qu’il ait eu un certain écho aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne, m’a paru être une bonne nouvelle. En Angleterre, Radio 2 BBC a poussé certains titres mais je ne suis pas devenu une hyper-star: d’ailleurs à part Ringo et Phil Collins, quels sont les batteurs qui le deviennent? » Inutile de dire qu’au 100 mètres composition, Burrows dilapide les ex-Beatles et Genesis précités. « Je ne sais pas très bien combien j’en ai vendu, peut-être 30 ou 40 000, je n’ai jamais demandé. » Merveilleuse politesse british.

Harrypotterien

Andy naît en 1979 dans une famille de la classe moyenne à Winchester, une centaine de km au sud-ouest de Londres. Papa est médecin, rugbyman, observateur d’oiseaux et amateur de trains à vapeur. « Les valeurs éducatives passaient par la gentillesse et une forme d’humilité, absolument rien de prétentieux n’était permis. L’ostentation ne faisait pas partie du paysage. » Le décor est harrypotterien: une cathédrale vénérable, une rivière qui ne cesse de couler et même l’historiographie voulant que William le Conquérant -alias William le bâtard- fantasma d’en faire sa capitale au XIe siècle. « Les dix premières années là-bas furent idylliques,explique Andy. Les dix suivantes beaucoup moins: l’adolescence arrivait, mes parents avaient divorcé. J’étais un gosse assez malingre qui, pour cette raison, s’était mis à la batterie. Entre 13 et 23 ans, j’ai d’ailleurs joué dans une série de groupes qui n’ont pas récolté la moindre attention. » Andy se rappelle qu’en bagnole paternelle, le lecteur de cassettes avale surtout Police, Beatles, Graham Parker et Squeeze. Burrows est resté sous le charme de ce groupe pop de Seconde Division anglaise de la fin 70/début 80, dont seuls le pianiste Jools Holland et sa voix de canard feront une véritable carrière ultérieure. Plus tard, alors qu’il vit la reconnaissance tapageuse au sein de Razorlight, que les rapports, en particulier avec le chanteur Johnny Borrell, s’avèrent électriques, il recroise la route squeezienne: « Razorlight était devenu énorme en Angleterre, j’étais batteur mais j’avais aussi écrit plusieurs de leurs tubes, dont le N°1 America, avec Johnny. A Londres, on a rempli Earl’s Court, 19 000 personnes, et on est passés dans l’émission Later… with Jools Holland. C’était curieux de le revoir dans ces circonstances-là. » Tout cela sera digéré dans un flux intense d’intimité et de suavité, décor organique de ses deux derniers albums solos. « Disons que je suis une personne tristement optimiste (sourire), que j’ai mes bons et mes mauvais jours, sans pour autant devoir recourir aux béquilles chimiques. Aujourd’hui, c’est un jour simplement moyen, ce qui est d’ailleurs plutôt rare. Je considère que la musique est la meilleure des communications et des thérapies, et j’en essayé d’autres… Je réalise qu’avec Razorlight, on était totalement pourris, dans le sens où, dès notre entrée en scène, les gens hurlaient: cela ne me manque pas mais…« La suspension de phrase pose cette question déjà antique: comment succéder au succès de masse?

West Coast

Comme tentative de réponse, Andy fuit deux fois en quelques années à New York, en 2009 puis 2012-2013. Son groupe bis, sans véritable génie, We Are Scientists, y est basé. Dans ses bagages, une fille qui a aujourd’hui six ans, et sa femme, danseuse de ballet reconvertie pour cause de dommage physique en attachée de presse, notamment pour le compositeur Ilian Eshkeri, avec lequel Andy écrit le score de The Snowman and The Snowdog, film d’animation couvert de prix. Burrows habite alors Brooklyn et se rapproche géographiquement du sentiment dégagé par ses disques solos: un fort parfum FM américain. « Je comprends totalement les comparaisons, sans du tout savoir pourquoi un mec qui vient de la Côte sud-ouest de l’Angleterre, qui adore Squeeze et les Beatles, peut sonner West Coast. Réussir là-bas nécessite d’avoir une énorme machine promotionnelle et de partir des mois de la maison: je ne me séparerai de ma fille pour bosser un tel territoire que si le jeu en vaut vraiment la peine… Je sais que le temps produit des choses à la fois horribles et formidables: regarde Fleetwood Mac qui a fini par transcender les modes et qui, comme la plupart des groupes ayant survécu sur la longueur, n’a jamais été vraiment « hip ». Leur album Rumours comporte des chansons qui restent étonnantes encore aujourd’hui. Et puis il y avait aussi tout le cirque des relations personnelles, les ruptures amoureuses et le reste, ajoutant un cirque aux chansons. Aujourd’hui, j’ai l’impression que l’histoire, le « mythe », le récit juteux, priment sur la musique. » A la deuxième tournée de Camden Lager, Andy passe en revue ses disques actuels -Harry Nilsson et Royal Blood…- et n’accepte qu’à moitié de scanner le contenu de ses compositions: « Je ne veux pas vraiment expliquer ce qui s’y passe: c’est généralement moins excitant qu’il n’y paraît (sourire). Mes chansons répondent auprocédé somme toute classique d’être moitié vraies, moitié fictionnelles. Disons qu’elles ne craignent pas d’être romantiques et se refusent à toute analyse politique, simplement parce que, selon moi, la musique est une évasion. Pourquoi je ne suis pas une pop-star? Peut-être parce que, dans ce pays en tout cas, il vaut mieux avoir 19 ans et être trendy, ce que je ne suis pas. » On quitte le bar pour prendre une paire de photos sur le trottoir de ce quartier entre deux eaux: la gentrification n’a pas encore avalé les petites maisons bossues ou rétamé les ruelles gondolées, mais cela ne saurait tarder. « Je suis revenu de New York parce que mon disque semblait intéresser les Continentaux autant que parce que Londres me manquait. Je suis là depuis 2004 et malgré son agressivité, sa saleté, son coût, celle ville conserve une électricité exceptionnelle. »

EN CONCERT LE 16 NOVEMBRE AU BOTANIQUE, WWW.BOTANIQUE.BE

RENCONTRE Philippe Cornet, À Londres

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