La Générosité de la sirène

Admiré par Philip Roth comme par Jonathan Franzen, Denis Johnson (1949-2017) excellait à décrire le vague à l’âme d’une population piégée dans le dernier wagon du rêve américain. À l’image de son Jesus’ Son (1992), variation à la noirceur éclatante sur le thème des paradis artificiels, entre errance et rencontres cul-de-sac. Pas de surenchère dans le sordide pour autant. Aux effets de manche psychédéliques d’un Hunter S. Thompson, ce disciple de Raymond Carver a toujours privilégié une écriture dépouillée, traquant la poésie, l’humour et la lumière jusque dans les ténèbres. Une cuisson à basse température de la lose qui figure au menu de ce recueil de nouvelles posthume, ultime pied de nez à la mort que Johnson orchestre avec la complicité de cinq éclopés. Un publicitaire repenti ressasse dans le désordre les épisodes mystérieux d’une vie sans épiphanie notable. Un camé en cure de désintox apostrophe Dieu, Satan, son toubib et sa famille psychopathe dans des lettres de détresse aussi délirantes que touchantes. » Hé Dieu t’es où t’es nulle part, Nous cherchons un signal, même faible, de ton pouvoir… » L’absence de sens comme motif récurrent d’une espèce dépressive qui s’invente des raisons de vivre jusqu’à l’absurde. Embaumés par la prose à la fois lyrique et minimaliste, drôle et désespérée de Johnson, les personnages sombrent avec panache. Sous le regard amusé d’une vieille connaissance qui souffle au narrateur de Triomphe sur la mort cette épitaphe prophétique:  » Le monde continue de tourner. Il va de soi pour vous qu’au moment où j’écris ces mots, je ne suis pas mort. Mais je le serai peut-être quand vous les lirez. » Imparable.

De Denis Johnson, éditions Christian Bourgois, traduit de l’anglais (États-Unis) par Brice Matthieussent, 224 pages.

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