Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

LA FIN DE BRESLAU – MAREK KRAJEWSKI CLÔT SA FRESQUE CONSACRÉE À SA VILLE POLONAISE ET MARTYRE AVEC UN CINQUIÈME ET DERNIER POLAR. LE MEILLEUR ET LE PLUS MORTIFÈRE.

DE MAREK KRAJEWSKI, ÉDITIONS SÉRIE NOIRE GALLIMARD, TRADUIT DU POLONAIS PAR LAURENCE DYÈVRE, 275 PAGES.

Eberhard Mock va donc en finir une bonne fois pour toutes avec Breslau. Depuis cinq romans, et La peste à Breslau (paru en 2008), l’officier de la brigade des moeurs de la ville polonaise en parcourt toutes les rues et en soulève le moindre égout. On l’avait découvert en 1919 au lendemain de la Grande guerre, dans une ville déjà vaincue et en décrépitude. Mock, insomniaque, alcoolique, libertin, mais bourgeois, y découvrait alors les corps affreusement mutilés de quatre marins. Cinq romans et 30 ans plus tard, Eberhard Mock est toujours fidèle à lui-même, même s’il a désormais 62 ans, garde séquelles et brûlures de ces précédentes enquêtes et rencontres avec l’Histoire, et a été suspendu de ses fonctions: cet inspecteur hors normes reste mû par cet idéal de justice qu’il faut rendre aux victimes.

Nous voilà désormais au printemps 45, dans une ville devenue allemande et forteresse. Le siège de Breslau par l’Armée rouge va durer quatre mois. Il se soldera par une victoire soviétique et la débâcle de la Wehrmacht. 29 000 civils et militaires périront dans ce siège, dans une ambiance de fin du monde, où l’homme, qu’il soit allemand ou russe, montre le pire de lui-même.

Le pire qui commence ici pour Mock par le viol et le meurtre de la nièce de Gertruda von Gomitz, comtesse allemande antifasciste enfermée dans le camp de concentration de Breslau-Bergsstarsse. Un camp dirigé d’une main de fer dans un gant de teflon par un certain Gnerlich, l’ancien… majordome de la comtesse. Comme toujours dans les enquêtes de Mock, l’ésotérisme et la folie se cachent derrière les crimes sordides mais a priori « normaux » -les viols et tortures d’un camp vers l’autre sont monnaie courante dans les appartements éventrés par les bombes. Si ce n’est que cette fois, c’est bien la fin.

Thriller crépusculaire

Les enquêtes d’Eberhard Mock formaient jusqu’aujourd’hui d’honnêtes thrillers historiques, où le pire de l’Histoire ne se mêlait pas toujours harmonieusement aux clichés les plus contemporains en matière de tueurs fous. Ce cinquième opus prend au contraire de l’épaisseur en devenant un roman ambitieux et crépusculaire, axé sur la disparition. Disparition d’une ville, presque d’une civilisation. Disparition de personnages récurrents de l’univers de Mock, l’un des rares à vieillir beaucoup d’une aventure à l’autre. Disparition enfin des dernières illusions ou espérances de notre héros sur la nature humaine. On ne sait si l’on retrouvera Mock autre part en Pologne, mais on sait qu’il ne reviendra plus à Breslau: l’inspecteur et son auteur ont fait le tour, souvent vertigineux, de ses vicissitudes.

OLIVIER VAN VAERENBERGH

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