La fin d’un monde

Ludovic Debeurme clôt avec fracas sa trilogie d’anticipation freak. Un conte aux frontières de la collapsologie où le politique prend le pas sur l’intime.

 » Mes frères, aux desseins trop sombres, que j’ai dénoncés, croyant qu’on sauverait au moins leur vie, ont hérité d’une fin qu’on réserve d’habitude aux mauvaises herbes, aux arbustes contaminés, aux lianes sèches… Après l’attentat majeur que l’humanité venait d’éviter de justesse, l’opinion publique accepta ce qui serait apparu comme de la barbarie quelques semaines auparavant… La voie était libre pour que l’on puisse enfin solutionner le problème « mixbodies ». » Ainsi commence le début de la fin de la vie de Koji, l’être mi-homme mi-bête apparu un jour comme des millions de congénères, tels des légumes de jardin, dans le premier tome de cet Epiphania qui fit immédiatement sensation. Cette fois, tout semble perdu pour ces êtres venus défier l’omniprésence des humains,  » tel un poison en guise de remède« : leur génocide semble presque achevé quand une nouvelle météorite fait soudain apparaître d’autres êtres fantastiques: des  » semi-géants » et des  » géants majeurs » voués semble-t-il à semer définitivement apocalypse et fin du monde.  » Fin du monde, ou fin d’un monde?« , comme se questionnera l’un des rares survivants? Seule certitude pour les simples humains que nous sommes:  » La Terre ne veut plus de nous« .

La fin d'un monde

Métaphorique et sentencieux

On le sentait venir dès le deuxième tome de cette formidable trilogie fantastique: Ludovic Debeurme avait cette fois autant à dire qu’à dessiner avec Epiphania. Et loin des territoires intimes et psychanalytiques qui ont longtemps été les siens avec des oeuvres comme Lucille ou Trois fils, l’auteur, sans tout à fait en abandonner le terrain, avait cette fois un discours politique plein de colère et d’angoisse à distiller à ses contemporains: notre monde court à sa perte tant les hommes n’ont pu trouver leur place sur cette planète qui désormais les rejette. Un destin inévitable tant que ceux-ci ne remettront pas en cause les dogmes du capitalisme que sont la croissance et la consommation. Un discours que ne renieraient pas Greta Thunberg et la plupart des collapsologues, convaincus de la fin du monde. Ou juste « d’un » monde?, comme s’interroge Debeurme dans un ultime sursaut, si pas d’optimisme, au moins de vague espoir? Cette veine plus sentencieuse de l’auteur, si elle impacte la narration et le rythme de son récit en usant d’une voix off et de cases cette fois de pleine page, n’enlève heureusement rien à la poésie et à l’imaginaire puissant de sa métaphore apocalyptique. Au sein de laquelle sa « ligne claire américaine », entre Charles Burns et Daniel Clowes, fait décidément des merveilles, qu’elle traite de la douceur ou de l’ultra-violence.

Epiphania (3/3)

De Ludovic Debeurme, éditions Casterman, 136 pages.

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