DANS LE DISCOURS D’UN ROI, TOM HOOPER PORTE UN REGARD NEUF SUR LA MAISON DE WINDSOR, TRANSCENDANT LES CANONS DU FILM D’ÉPOQUE…

Au même titre que Shakespeare, la famille royale britannique reste le recours providentiel des scénaristes en panne de sujet, la manne, céleste pour ainsi dire, à laquelle ceux-ci viennent puiser sans modération. De The Madness of King George à Elizabeth, en passant par The Young Victoria ou The Other Boleyn Girl, la liste est longue de films ayant ainsi adopté de royaux contours, jusqu’à pratiquement en faire un genre cinématographique à part entière, avec ses figures obligées, ses codes immuables et, accessoirement, l’odeur de naphtaline en option.

Arrivant 4 ans après The Queen de Stephen Frears, The King’s Speech, de Tom Hooper, poursuit l’entreprise de dépoussiérage entreprise alors, quoiqu’avec des instruments sensiblement différents. L’histoire s’y prête à merveille, il est vrai, qui non contente d’être largement méconnue, met aussi en scène, en la personne de George VI, un homme qui ne voulut pas être roi. Et qui n’en présentait certes pas les dispositions, le bégaiement dont il souffrait depuis l’enfance apparaissant même aux yeux de beaucoup comme un handicap rédhibitoire.

Une question d’angle

En adepte des chemins détournés qu’il est incontestablement, Tom Hooper a trouvé là du grain à moudre. Guère connu de ce côté-ci du Channel, l’homme n’en présente pas moins un solide bagage, télévisuel pour l’essentiel, qui l’a conduit de Eastenders en John Adams. Le réalisateur, que les icônes n’effraient à l’évidence pas, s’est aussi attaqué au légendaire manager de football britannique Brian Clough dans The Damned United, long métrage resté curieusement inédit chez nous où, sur un scénario de Peter – The Queen– Morgan, il retraçait les 44 jours prestés par ce dernier à la tête du grand Leeds United des années 70. « J’aime aborder les choses sous un angle inattendu, sourit-il alors qu’on le rencontre dans un palace londonien. J’ai dès lors préféré m’intéresser à l’échec de Clough, plutôt qu’à ses nombreux succès. » Autant dire qu’avec George VI, le réalisateur a été servi, qui ne se fait d’ailleurs pas prier pour énumérer les éléments qui l’ont intéressé dans le script de David Seidler: « Personne ne connaît cette version de l’Histoire. En fonction de son âge, chacun, en Angleterre, a au moins de vagues notions de la crise de l’abdication. L’histoire du roi ayant renoncé au trône par amour est connue. Mais celle du frère cadet qui était bègue, et allait devenir roi est extraordinaire à plus d’un titre. Que la clé en soit un thérapeute est pratiquement impensable en Angleterre! Mais qu’en outre, ce dernier ait été australien, à une époque où ceux-ci étaient snobés, et autodidacte non-conformiste plutôt que médecin qui plus est, tout cela est inouï.  »

Articulé autour de leur amitié, le film désacralise en quelque sorte une fonction à laquelle il n’ôte pas pour autant sa noblesse. Dans un pays où la monarchie reste une institution, The King’s Speech trouve même une résonance toute particulière. « L’histoire de George VI est intéressante en ce sens qu’elle déclasse toute notion simpliste de privilèges: on ne peut considérer cet homme comme un privilégié d’avoir connu une telle enfance, et encore moins d’avoir eu à devenir roi contre sa volonté, d’avoir dû conduire son pays à la guerre, alors qu’il pouvait à peine aligner 2 phrases à une époque où la radio était le médium de masse. Mieux même, j’ai la conviction que l’histoire de George VI explique pour partie pourquoi nous avons toujours une monarchie: il a su émouvoir la population par sa volonté d’accomplir son devoir en dépit de son manque d’aptitudes, et dans des circonstances particulièrement difficiles. Tout le monde lui en a été profondément reconnaissant. « 

Subvertir les clichés

Son côté inattendu, le film le tire encore d’une esthétique s’écartant volontiers des ornements et dorures prévalant généralement dans les drames historiques -ainsi, déjà, d’une séquence d’ouverture aux contours pratiquement mortuaires, là où l’ordinaire princier ne manque pas d’étonner. On y verra le résultat, aussi surprenant que cela puisse paraître, d’un souci scrupuleux de véracité, assorti de la volonté réaffirmée de subvertir les clichés: « En général, les films d’époque ne m’intéressent guère, les gens se bornent à y recycler les clichés d’autres films d’époque. Eve Stewart, ma directrice artistique, a fait beaucoup de recherches, et m’a guidé vers des choses que je n’avais jamais vues auparavant dans un film historique. Le résultat, au-delà de l’impression de fraîcheur, est que l’histoire y gagne une autre présence, plus contemporaine.  » Un précepte dont il avait déjà eu l’occasion de vérifier la pertinence sur John Adams. « Lors de mes recherches, j’avais découvert que les hommes du XVIIIe siècle avaient la tête rasée sous leur perruque, qu’ils ôtaient une fois rentrés chez eux. L’homme au crâne rasé est une image moderne. Du coup, on sort l’histoire d’une zone où elle ne sert qu’à conforter nos idées préconçues, et quelque chose de nouveau prend forme. « 

Au bout du compte, la concession la plus visible (et bienvenue, celle-là) aux normes du drame historique britannique réside dans l’excellence de l’interprétation. S’agissant de Colin Firth, on n’hésitera pas à parler de composition stupéfiante, l’acteur apparaissant toujours juste, qu’il s’agisse de tenter de surmonter son handicap, à grand renfort de jurons au besoin, ou de glisser d’une émotion à l’autre face à un Geoffrey Rush au diapason. La voix royale pour ajouter à la Couronne, joliment découverte en l’espèce, le sceptre des Oscars…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À LONDRES.

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