PRÉ-ACHETÉ PAR QUINZE PAYS À BERLIN, ESPÉRÉ POUR CANNES AU MOMENT DE BOUCLER CES LIGNES, LE TOUT NOUVEAU FILM DE JACO VAN DORMAEL COMMENCE À FAIRE PARLER DE LUI. FOCUS ÉTAIT PASSÉ DIRE BONJOUR SUR LE TOURNAGE. RÉCIT.

« Oui ça va, sauf le temps. On a vraiment un été pourri. Dans le film, Dieu met les gens dans la merde. Eh bien là, il met vraiment les gens dans la merde. » A la cantine de midi improvisée par la régie, Jaco Van Dormael engouffre la bidoche du jour avec un appétit gaulois. Nous sommes en plein juillet 2014 grisâtre, dans une maison de quartier bruxelloise, avenue de l’Héliport, à deux pas d’un logement social géré par le Foyer Laekenois au pied duquel le réalisateur de Toto le héros a tourné toute la matinée.

Cinq ans après un Mr. Nobody au casting international, Van Dormael renoue pour ce Tout Nouveau Testament, soit son quatrième long métrage en un quart de siècle, avec son intrinsèque belgitude. « Le film se passe à Bruxelles, tous les personnages habitent à Bruxelles, donc c’est un mélange d’accents bruxellois, wallons, flamands, comme on a à Bruxelles. » Le casting du film est à l’avenant: Benoît Poelvoorde incarne Dieu, Yolande Moreau sa femme, tandis que François Damiens et Laura Verlinden, entre autres, jouent les nouveaux apôtres. Seule Catherine Deneuve, à contre-emploi burlesque, semble devoir échapper à la couleur résolument locale de l’entreprise. Mais le pitch, donc, concrètement? « Le pitch? Dieu existe, il habite à Molenbeek. C’est un mec qui est odieux avec sa femme et avec sa fille. Pour se venger, cette dernière balance sur Internet les dates de décès de tout le monde. Alors évidemment, ça fout le bordel. Et on suit plusieurs personnes qui se demandent ce qu’elles vont bien pouvoir faire du reste de leur vie. La fille de Dieu, qui a 11 ans, essaye de rassembler six nouveaux apôtres, des grands blessés de la vie pour lesquels elle va à chaque fois accomplir un tout petit miracle qui témoigne d’une forme d’amour un peu improbable, comme multiplier des sandwiches au jambon. C’est un conte surréaliste qui se fonde sur une question: si on sait que la vie est courte, comment atteindre à une forme de bonheur même éphémère? Les réponses sont diverses: une femme délaissée tombe amoureuse d’un gorille, un obsédé retrouve un flirt d’enfance dans un studio de doublage de films pornos, un assassin rate sa victime avant de s’en éprendre… »

Début d’après-midi, on reprend les choses là où on les avait laissées le matin: un travelling latéral sur Laura Verlinden (Ben X, Loft, Image) qui se promène en robe d’été avant de se faire tirer dessus. « Au début du film, François Damiens est cet assassin qui n’a tué que des fourmis, des souris blanches, les perruches de sa cousine, des choses comme ça, mais il n’a jamais tiré sur de vrais individus. Quand il apprend que la date de mort de chacun est déterminée, il se dit qu’il peut enfin le faire, puisque s’ils meurent ce n’est pas sa faute, c’est parce que c’est écrit. Et s’il les rate, eh bien c’est que ce n’était pas leur jour. La première personne sur laquelle il tire c’est Aurélie, jouée par Laura. La balle va se loger dans son bras artificiel. Alors il la suit en fixant le trou qu’il a fait dans son épaule, pour comprendre comment ça se fait qu’elle n’est pas morte… »

La météo est capricieuse. Les parapluies s’ouvrent, se referment. Jaco, toupie humaine emballée dans une chemise de bûcheron, ne lâche rien, serein. Peut-être parce ce que ce film, co-écrit avec Thomas Gunzig, est un « film de potes« , comme il aime à le répéter, au budget modeste -8,5 millions d’euros, soit à peine le quart du budget global de Mr. Nobody. Peut-être aussi parce que, l’expérience aidant, le cinéaste a tout simplement davantage confiance en lui. « Je story-boarde moins qu’avant. Quand j’étais jeune, je dessinais tout, puis j’ai dessiné de moins en moins, et maintenant, très souvent, je rêve de mes découpages dans mon sommeil. Disons, pour être précis, que je les pré-visualise quand j’écris et, en général, la nuit qui précède le tournage je rêve plusieurs découpages. A mon réveil le matin, je n’ai plus qu’à les adapter au réel. Mon inconscient, mon intuition, travaillent en permanence quand je bosse sur un film. J’aime aussi m’en remettre à eux. » Avant d’ajouter, tout sourire: « Un philosophe a dit un jour que le cinéma et la religion ont un point commun: tous les deux s’acharnent à faire croire que la vie pourrait avoir un sens. Moi la question qui m’intéresse avec ce Tout Nouveau Testament est plutôt celle-ci: c’est quoi l’étrange expérience d’être en vie? »

N.C.

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