AVEC DANS DANS ET FLYING HORSEMAN, BERT DOCKX A MARQUÉ 2013 DE SON EMPREINTE INDÉLÉBILE. VISITE À ANVERS DANS L’ANTRE D’UN GUITARISTE VERTIGINEUX ET LIBÉRÉ.

Anvers. Gare de Berchem. Au bout d’une rue à l’architecture étrange peuplée de bâtisses bourgeoises entre mini-châteaux et manoirs gothiques, les maisons se font plus modestes. Bert Dockx reçoit à domicile. A la table bancale d’un petit living boisé. Vinyles, CD et DVD tapissent les murs entourés par quelques vestiges d’un autre temps. Des piles de VHS achetées dans un vidéo club du quartier et des cassettes audio sur lesquelles la tête pensante de Flying Horseman s’est enregistré adolescent. « J’ai toujours été fasciné par le cinéma, avoue Dockx. Des longs métrages les plus obscurs aux films populaires. J’adore The Conversation que j’achète à chaque fois que je le vois. Knife in the Water, le premier Polanski. Ou encore Mouchette et Au Hasard Balthazar de Bresson auquel le titre d’ouverture du deuxième Dans Dans est une espèce d’ode. Le 7e art m’inspire. J’interromps d’ailleurs régulièrement des films pour prendre quelques notes. »

Par terre, justement, traînent des pages empilées à la hâte. « Depuis quelques semaines, je bosse sur des chansons en flamand, avoue le guitariste aux doigts magiques. Je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Souvent, je n’ai pas fini un disque que je suis déjà obnubilé par le suivant. Le groupe me prend parfois pour un autiste. Je ne sais pas si la musique est une obsession. De l’extérieur, on doit sans doute percevoir les choses comme ça. Mais l’art pour moi, c’est la façon la plus évidente de vivre. De voir le monde et d’essayer de le comprendre.  »

Normal pour un mec qui a été élevé par des parents mordus de culture. Une mère pianiste à ses heures perdues et un père passionné par le théâtre, la littérature, la poésie, qui gratouille des chansons folk à la guitare acoustique et possède une immense collection de disques folk, rock, country, blues…

« Il doit y avoir un peu de génétique dans tout ça. On m’a souvent dit que je ressemblais au frère de mon père. Je ne l’ai pas connu. Il s’est suicidé. Mais il avait des goûts subversifs. C’était le rebelle d’une famille bourgeoise où l’on recevait le bourgmestre à manger tous les dimanches. Celui qui voulait jouer du Elvis dans un environnement où on chérissait la musique classique. De mes 14 à mes 19 ans, j’étais obsédé par cette histoire. »

A l’époque, Bert est durablement marqué par Tom Waits, Nick Cave et Robert Wyatt. « C’est pas pour frimer mais regarde ce que je viens de recevoir. » Dockx sort un petit bout de carton encadré. Sorte de carte postale bricolée. Wyatt a découpé l’adresse de son correspondant sur le colis que l’Anversois lui avait envoyé et a gribouillé: « Thank You. It’s Good« , à la main. « C’est flatteur. Il avait accepté qu’on reprenne East Timor avec Dans Dans à condition qu’on lui fasse parvenir un exemplaire du disque.  »

Sophistiqué et primitif

A l’âge où certains se font clouer sur des planches en bois, Dockx, qui a fait le conservatoire de Bruxelles et le Jazz Studio mais continue de se considérer comme un autodidacte, a définitivement atteint une espèce de maturité, de plénitude. Trouvé une forme d’équilibre. Splendide et fragile. Que ce soit avec Dans Dans -la rencontre entre le jazz, le rock et les musiques de films qu’il fomente avec Lyenn et le batteur de Dez Mona- ou au sein du plus conventionnel mais non moins étourdissant Flying Horseman.

« Le jazz a été un grand choc. Surtout Coltrane. Mais là où les musiciens de jazz aiment le rock des années 70, les trucs psychédéliques et progressifs ou un mec comme Prince, ce sont des Nick Cave et des Bill Callahan qui me parlaient. J’ai toujours ressenti une tension, une espèce de tiraillement entre les bazars sophistiqués du classique et du jazz et le côté primitif du rock. Entre le conscient et l’inconscient. Le rationnel et l’animal. Ce conflit m’a pas mal tracassé à la fin du conservatoire. »

Dockx, qui a commencé à chanter vers 27 ans, l’a définitivement résolu aujourd’hui. « J’ai trouvé un truc qui est reconnaissable. Ce que je fais n’est pas nouveau. Juste habité d’une forte personnalité. »

Enregistré à Gand avec Koen Gisen, City/Same City parle notamment d’Anvers. « Je ne me suis jamais dit que je devais raconter la ville mais certaines choses me touchent. Plusieurs textes ont été écrits au moment des élections. Je ne suis pas d’accord avec les choix de la N-VA mais je ne la considère pas comme le problème. Elle et De Wever sont les symptômes d’une crise. Patrick Janssens, très à droite pour un socialiste, avait déjà pris des décisions alarmantes. La société dans laquelle on vit est très éloignée de la manière dont je vois l’existence.  »

Ce double album évoque aussi les femmes. Les relations amoureuses compliquées… La fille dont tu es bleu mais qui ne veut pas de toi. « Les métaphores de l’une d’entre elles viennent d’un reportage sur les immigrés qui empruntent des embarcations de fortune. » City/Same City a aussi été inspiré par la musique africaine. « La nature, les grands espaces, son autre notion du temps, son inscription dans la communauté. » Bert a la bougeotte et passe aux platines. Enchaîne Derek Bailey, Nâ Hawa Doumbia (la première sortie d’Awesome Tapes from Africa) et Les Troubadours des hauts plateaux (une rareté venue du Burundi). « J’aime la musique ethnique. Les vieilles traditions. Et là-bas, tu en as des tas qui se transmettent de génération en génération. » Keep your mind wide open…

LE 07/12 AU CHAB (BRUXELLES), LE 13/12 AU GLIMPS (GAND), LE 14/12 À DE WARANDE (TURNHOUT)…

RENCONTRE Julien Broquet

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