La Berceuse et le Clairon. De la foule qui écrit

© Philippe Matsas / OPALE

Philippe Beck est un drôle d’animal. Poète célébré pour sa réinvention du lyrisme autant que philosophe chatouilleux et chantourné, il est sans doute le seul auteur français vivant à pouvoir compter sur l’intérêt simultané de personnalités comme Jacques Rancière (qui lui a consacré un livre), Alain Badiou (qui a publié son essai Contre un Boileau) ou Jean-Luc Nancy (qui a préfacé son recueil Dernière mode familiale). Cela pose son homme. Mais cette légitimité, chez lui, ne va jamais sans coups de griffes assénés de manière latérale -contre une certaine paresse contemporaine de la pensée, contre un usage utilitaire de la langue, contre le rôle décoratif de la pensée. Dans La Berceuse et le Clairon, cette espèce de danse contrariée avec le contemporain se poursuit sous la forme d’un assaut contre  » la foule qui écrit« , c’est-à-dire, en clair, le fait que tout le monde, désormais, se rêve écrivain -mais que plus personne ne lit vraiment. Présenté comme tel, le plat pourrait sembler peu appétissant. Pourtant la langue tournoyante de Beck et l’acuité de funambule de sa pensée transforment ce qui risquerait de verser dans la simple récrimination en autre chose: un manifeste, par l’exemple, de ce que serait une prose qui pense au XXIe siècle. Une telle prose, à l’évidence, n’a rien à voir avec celle de la communication, de la transmission ou du message; elle n’est pas une sorte de facteur venant poster dans le cerveau des lecteurs les petites missives qu’un auteur lui enverrait depuis son bureau. Elle est plutôt celle d’un faire, d’un geste qui tient, comme c’est toujours le cas pour la poésie, d’une performance dont l’intensité excède les limites du sens. C’est cette performance, à la fois politique et esthétique, que Beck voit manquante au coeur du désir d’écriture de la foule et des fantasmes que celle-ci continue à charrier à propos de la figure de l’écrivain. Hardcore? Plutôt. Mais nous frotter à la difficulté est sans doute précisément ce qui nous manque le plus.

La Berceuse et le Clairon. De la foule qui écrit

De Philippe Beck, éditions Le Bruit du Temps, 496 pages.

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