Johan Leysen donne une remarquable réplique à George Clooney dans The American, et nous rappelle qu’il est un des tout meilleurs comédiens belges.

Le rôle de Pavel dans The American ( lire critique page 30) est de ceux qui exigent, en un instant seulement, de projeter tout à la fois une forte présence et le poids d’un passé lourdement chargé. Pour secondaire qu’il soit -mais déterminant dans l’action-, ce personnage du film d’Anton Corbijn offre à Johan Leysen une belle opportunité de briller au plus haut niveau et de réaffirmer l’excellence de son jeu d’acteur face à la star absolue qu’est George Clooney…

Comme celui joué par Clooney, votre personnage dans The American nous arrive d’emblée marqué par le passé. Une impression qui se communique par-delà les mots…

C’était le désir d’Anton Corbijn de faire un film sur ce genre de personnages, et en passant par une dramaturgie qui ne se contente pas des dialogues mais utilise de longs blancs silencieux où l’on voit, où on lit plein de choses sur les visages. Comme dans les grands westerns américains. Corbijn est très doux, discret, et précis. Il fait entièrement confiance à la personne qui est devant lui. Il a vu en moi la qualité qu’il cherchait, et surtout il a la manière de filmer qui la rend palpable. C’est agréable de travailler comme ça. Mon personnage aurait pu être un outil scénaristique, qui apporte de l’information. Ca peut être lourd à jouer, car comment trouver de bonnes et vraies raisons de dire telle ou telle chose? Corbijn a voulu éviter ça. Il m’a parlé de Max Von Sydow dans Three Days Of The Condor, à la fois un peu père, confident, et en même temps pas totalement fiable… Quand il filme la première rencontre des 2 personnages, il ne nous fait presque rien dire, mais on comprend tellement de choses rien qu’à nous regarder, Clooney et moi…

Comment s’est déroulé le travail avec Clooney?

Il a cette dimension presque mythique de star. Et je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre de sa part. J’ai été comblé. C’est non seulement un comédien formidable (la manière dont il fait l’amour à la fille tout en exprimant son désespoir est quelques chose de fascinant), mais aussi un homme très agréable et très drôle, très impliqué, d’une gentillesse et d’une disponibilité incroyables. A aucun moment il ne m’a fait sentir que j’étais devant le « phénomène » qu’il est. Je devais par exemple tourner des plans où je lui parle au téléphone. Ses répliques à lui étaient tournées un autre jour, dans un lieu différent. Plein de comédiens, bien moindres que lui, n’auraient pas été présents pour donner la réplique hors-champ. C’est souvent un assistant qui lit les phrases. Mais Clooney, lui, était là, à côté de la caméra, à me donner la réplique! Sur le plateau, il ne faisait jamais sentir qu’il est une star. Mais dès qu’il quittait ce plateau, il était livré aux lions. Et pour se protéger, il avait tout un système de sécurité qui s’installait autour de lui…

Vous vous partagez entre le théâtre et le cinéma. Comment se nourrissent-ils l’un l’autre, pour vous?

Je crois que c’est la vie qui les nourrit, tous les 2. On change, on perd un peu de sa vanité. Dans le cinéma, il y a cet élément de séduction, cette lumière qui fait obstacle à l’humilité. Chacun y prépare son truc dans son coin, et les scènes prennent parfois l’allure d’un match de tennis, où l’on joue l’un contre l’autre plutôt qu’ensemble. Le théâtre, comme les petits tournages, vous rend complice des autres, vous fait partager le plaisir, vous fait oublier l’idée de performance (je ne suis pas un sportif!), vous rend plus modeste, même quand le succès est au rendez-vous. Mais c’est surtout la vie qui vous fait évoluer, qui vous fait quitter des yeux l’accessoire pour regarder l’essentiel.

En quoi vous a-t-elle changé?

J’ai commencé à faire l’acteur, au théâtre d’abord, par exclusion. Parce que je ne voulais pas faire toute une série d’autres choses. Et que j’y arrivais plus ou moins facilement. Il m’a fallu une bonne dizaine d’années pour devenir lucide, et me dire: Leysen, tu ne vas tout de même pas passer ta vie à espérer des petites tapes rassurantes sur l’épaule, à espérer que les gens te disent que tu es formidable! Ce genre de satisfaction est tout de même très limité. Il devait y avoir autre chose que cette reconnaissance futile. Alors je suis allé vers des projets qui étaient plus en accord avec ce que je suis profondément, avec mon être. Plus j’avance, plus je pense que le métier de comédien est beaucoup moins question de savoir-faire que de courage. Oser s’ouvrir, oser exposer qui l’on est. Etre disponible avec ça, sur une scène ou devant une caméra. Et que tout ce qu’on te demande en tant que comédien passe par toi, s’écoule en toi, circule en toi. Le plaisir qui vient alors est bien plus grand. Ne fût-ce que pour soi-même… l

Rencontre Louis Danvers

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