ASIAARGENTO PUISE À UNE SOURCE INTIME LA MATIÈRE ÉMOUVANTE DE SON SUPERBE ET ATTACHANT INCOMPRESA.

Aria est son deuxième prénom. Elle l’a choisi pour la jeune héroïne de son nouveau film Incompresa (lire la critique page 20). Comme une confirmation de la nature en partie autobiographique d’une oeuvre personnelle de forme comme de ton. Et c’est bien des « blessures d’enfance » qu’Asia Argento invoque pour source et sujet d’une chronique par ailleurs pleine d’humour, d’amour et d’une folle énergie, à l’image de la « petite guerrière » qu’est son héroïne de 9 ans à peine. « Cette histoire, confie la réalisatrice, j’ai éprouvé le besoin de la raconter, c’était une nécessité pour moi. L’écriture, le tournage, tout a été très fluide, comme si le film existait déjà tout fait en moi et n’avait qu’à en sortir pour se matérialiser. »

De sa propre enfance, Argento dit sans ambages qu’elle lui a été « volée« . « J’ai fait Incompresa sans réfléchir, sans analyser, explique-t-elle, mais après j’y ai pensé, il m’a fait comprendre plein de choses sur moi-même, et sur ce qui peut être ma mission ici: raconter les enfants, célébrer l’enfance, parce que je n’ai pas oublié l’enfant que j’étais, cet enfant secret que j’ai longtemps enfermé, que j’ai même essayé de tuer parce que j’en avais honte, parce que le monde matérialiste ne supporte pas l’enchantement de l’enfance, cette absence de désir matériel qui la caractérise avant qu’elle ne soit polluée par les adultes… »

Et de préciser cette idée de « mission« , si précieuse à ses yeux: « C’est merveilleux d’être un canal, de sentir passer à travers moi toutes ces choses. On ne devient pas un canal par volonté, c’est comme d’avoir les yeux bleus plutôt que d’une autre couleur. On reçoit ça. Cela ressort à la fois du primitif et de quelque chose de plus élevé. L’esprit en est, mais aussi la chair. Et un combat fait rage entre l’ombre et la lumière. L’enfance a cette faculté de tout reprendre à zéro, de rêver la vie comme si tout était oublié des vies précédentes. Je ne suis pas bouddhiste, je suis plutôt portée vers une spiritualité à la Kardec (1). Pour moi, l’enfance est quelque chose de sacré, et d’éternel. »

Et Giulia devint Aria

Incompresa fait référence par son titre à Incompreso, le film de Luigi Comencini sur une autre enfance volée. « Ce film m’avait énormément marquée, quand je l’avais vu, petite, commente Asia, je m’identifiais totalement au petit garçon, Andrea, l’incompris. Je me souviens d’avoir vu pour la première fois le film avec mes parents. Je pleurais, je pleurais, j’aurais tant voulu qu’ils comprennent que cet enfant sur l’écran, c’était moi, moi qui me sentais abandonnée, moins aimée que mes soeurs… J’ai revu le film plein de fois, dont une avec ma propre fille (mon fils n’était pas encore né). Je me suis mise à pleurer comme la première fois, avec une douleur incroyable qui me déchirait le coeur.  »

Une des clés de la réussite d’Incompresa est sans aucun doute sa toute jeune interprète principale, Giulia Salerno. « Une fois le scénario co-écrit avec Barbara Alberti achevé, je me suis dit que jamais je ne trouverais une actrice de cet âge capable de restituer tout ce qu’est le personnage d’Aria, se souvient Argento, alors quand ma directrice de casting m’a fait voir son premier essai (je ne voulais pas tout de suite rencontrer les enfants qui auditionnaient), je suis restée pétrifiée. Aria était là, tout entière! Je me répétais: « C’est impossible! C’est impossible! » Tant j’étais bouleversée. Il émanait de Giulia ce mélange de force et de fragilité, avec dans les yeux, ses grands yeux bleus, quelque chose qui me rappelait ma grand-mère et ma tante, ce côté juif maternel qui m’est cher. Je n’ai voulu rencontrer aucune des autres filles, c’était Giulia ou rien! » Argento, qui enseigne l’art dramatique à des enfants depuis une douzaine d’années, a travaillé avec sa jeune interprète « en procédant par jeu, avec des exercices stanislavskiens(2). Très vite, nos énergies se sont combinées, offrant la vérité que le film exigeait. »

Si le film se présente sous la forme d’une chronique d’enfance malheureuse, « avec un peu de mélodrame mais aussi un côté rigolo noir« , Incompresa est aussi un hymne vibrant au pouvoir qu’a l’art de sauver un être, de lui permettre de ré-enchanter le monde. « Ce sera, plus clairement encore, le thème majeur de mon prochain film, centré sur une fille plus grande« , explique Argento dont les souvenirs personnels auront là aussi leur place déterminante. « Je me rappelle comme, adolescente, je me sentais seule, et la honte que j’avais à être poète, le malaise que j’avais en présence des autres. Alors j’ai voulu grandir très vite, et peut-être à cause de ça j’ai plus encore gardé en moi l’enfant que j’étais. Je reviens très facilement à l’état émotionnel et créatif d’une gamine de 9-10 ans…  »

La musique tient une part déterminante dans Incompresa, et pas seulement le soundtrack revisitant vigoureusement les années 80. « Les mouvements de Giulia étaient musique, les mouvements de caméra étaient musique, des rythmes ne cessaient de naître dans les plans, puis dans la succession des plans« , s’émerveille rétrospectivement celle qui a « la musique au coeur« , aime écrire des chansons, et dont on découvrira bientôt un CD maxi de cinq titres, commis sous le nom de Verdade en collaboration avec la Française Soko.

(1) ALLAN KARDEC (1804-1869), LE FONDATEUR DU SPIRITISME. SA TOMBE AU CIMETIÈRE DU PÈRE LACHAISE FAIT L’OBJET D’UN CULTE DE LA PART DES ADEPTES.

(2) CONSTANTIN STANISLAVSKI (1863-1938), COMÉDIEN, METTEUR EN SCÈNE ET PROFESSEUR, QUI ÉTABLIT UNE MÉTHODE FONDÉE SUR LE VÉCU PERSONNEL ET LA MÉMOIRE AFFECTIVE DES ACTEURS.

ENTRETIEN Louis Danvers

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