ENTRE SPLEEN ET TENDRESSE, LE DESSINATEUR GABI BELTRÁN RACONTE SA JEUNESSE DANS UN QUARTIER POPULAIRE DE PALMA DE MAJORQUE. UNE CLAQUE.

Histoires du quartier

DE GABI BELTRÁN ET BARTOLOMÉ SEGUÍ, ÉDITIONS GALLIMARD, 152 PAGES.

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De Majorque, aspirateur à touristes en mal de soleil low-cost, on ne connaît le plus souvent que l’enfilade d’hôtels mutilant un littoral béni des dieux. Nettement moins l’envers de cette carte postale aux tons criards. Comme le « barrio chino » de la capitale Palma, quartier hot & spicy où il ne fait pas bon grandir dans les années 80. Pas de chance, c’est justement dans ce ghetto mal famé où ça tapine ferme que Gabi Beltrán a enduré une bonne partie de sa jeunesse, entre un père alcoolique et dépressif et une mère courant d’air.

Si le destin était une science exacte, l’ado aurait dû finir comme la plupart de ses camarades d’infortune, la tête dans le caniveau, une seringue plantée dans l’avant-bras. Mais voilà, à force de volonté ou sur un coup de dés du hasard, certains échappent à la fatalité. La bouée de sauvetage du gamin, ce sera la bande dessinée, seul passeport disponible pour tromper un sentiment d’enfermement encore renforcé par l’insularité. Ses lectures vont semer en lui les graines de l’exil, qui finiront par éclore dans une fuite qui aura le goût de la délivrance. Et de la revanche puisqu’il se fera finalement un nom dans l’illustration, collaborant notamment avec la crème des magazines de BD en Espagne mais aussi aux Etats-Unis ou en Suisse.

Les 400 coups

On imagine que ce passé a dû souvent mariner dans l’esprit de l’artiste. Ce n’est pourtant qu’à 40 ans bien tassés qu’il a décidé de l’exhumer (le liquider?) dans une autobiographie dessinée qui appelle les superlatifs. Par petites touches d’une justesse émouvante, il arrache à la mémoire des épisodes doux-amers de cette existence rythmée par les combines pour se faire un peu d’argent (en rabattant notamment les marins de passage vers les tripots), les larcins en tout genre (de la ratonade au vol de voiture) et les rencontres indélébiles. Comme Arnaud, casse-cou charismatique, ou le vieux Paco. Dans cet univers faisandé, la violence et la drogue sont omniprésents. Avec bien souvent la morgue ou la prison comme seules feuilles de route.

L’auteur a eu la bonne idée de confier le dessin à son compatriote Bartolomé Seguí. Son trait et ses couleurs délavées qui rappellent Larcenet neutralisent le côté glauque de l’histoire, en soulignant plutôt la dimension épique, comme pouvait le faire un Franquin quand il se frottait à un milieu interlope, dans La Foire aux gangsters par exemple. Pas besoin de forcer le trait quand le récit transpire le vécu. Le filtre de la nostalgie se chargeant de nimber le tout d’un brouillard de spleen attendrissant.

La rupture avec cet enfer sera consommée le jour où Gabi prendra une balle dans la jambe lors d’un cambriolage mal préparé. Un déclic qui va le libérer des chaînes mentales et émotionnelles qui l’emprisonnent dans le quartier. Il se rend compte qu’il déteste profondément cette vie et ceux qui la peuplent, les adultes comme les copains, et que la seule solution pour ne pas sombrer c’est d’embrasser l’horizon sans retour plutôt que de le fantasmer en pleurant sur son sort.

LAURENT RAPHAËL

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