L’Île aux troncs

Après la chute du Troisième Reich en 1945, Leningrad pullule de vétérans soviétiques mutilés, la victoire plus en berne que triomphante. Impossible pour l’État-major de continuer à donner une image puissante avec ces rebuts! Deux cents cabossés se voient donc parqués à Valaam, îlot isolé de Carélie semé sur un lac. Parmi cette cosmogonie de samovars (êtres  » courtauds comme l’ustensile, ventrus, (…) que l’on pose dans un coin« ), où chacun, grevé d’une  » boîte noire de souffrance« , scrute l’amputation des autres en la jaugeant, Konstantin « Kotik » Tchoubine passe pour insolite avec sa jambe unique. Lui et son voisin de cellule Piotr ont en partage un adage ( » Tout boire!« ) et leur idolâtrie pour l’aviatrice Natalia Mekline. Un jour, repoussant les limites de leur miette de terrain, et aiguillonnés par l’envie de rencontrer leur icône, nos deux comparses fomentent une évasion dans le grand bain de l’aventure. Dans cette miniature de roman russe, où le grotesque joue à la balancelle avec le tendre, où le burlesque ne cède pas la priorité au pathétique, Michel Jullien dote d’ailes ces Freaks des grands froids. Comme pour mieux leur restituer l’amplitude héroïque et tragique dont le régime les aurait privés. Aussi truculent que subversif!

De Michel Jullien, aux éditions Verdier, 128 pages.

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