ALBERT DUPONTEL PREND 9 MOIS FERME ET NOUS OFFRE, EN DIGNE HÉRITIER DES GRANDS BURLESQUES, UN « DRAME RIGOLO » FORMIDABLEMENT RÉJOUISSANT.

L’humour vache, le rire vengeur, le burlesque assassin et, désormais, l’émotion en prime. Albert Dupontel a toujours eu le comique agressif. Son Sale DVD rassemblant des spectacles et courts métrages du début des années 90 en témoigne avec une rare -et hilarante- éloquence. Depuis Le Vilain et Enfermés dehors, cet auteur complet (il écrit, joue et réalise ses films), 50 ans au compteur le 11 janvier prochain, ajoute à la méchanceté une tendresse paradoxale, une délicatesse certes sporadique mais d’autant plus touchante. 9 mois ferme, sa nouvelle comédie, enrichit cette veine chaplinesque d’une nouvelle et très savoureuse réussite.

Votre film monte en puissance et en rythme d’une manière telle qu’à partir d’un moment, on se dit que vous allez pouvoir tout, absolument tout, vous permettre…

Je fais ce que je peux, beaucoup plus que ce que je veux! Ce que vous décrivez est le résultat d’un long travail pour obtenir un film fluide, clair, simple. Je prends beaucoup de temps au montage (sept mois, en l’occurrence), j’ai montré le film en Blu-ray au public à plusieurs reprises(1) et retravaillé le montage suite à ce que j’apprenais de ces séances. J’ai notamment supprimé des choses parce qu’elles faisaient… trop rire. Les gags m’importent nettement moins que la qualité d’écoute, le fait qu’on s’intéresse à l’histoire. D’ailleurs, je ne vois pas mon film comme une comédie, mais comme un drame rigolo.

Beaucoup de boulot, donc, derrière l’évidence du film achevé?

Beaucoup. Rien n’est laissé au hasard. Là où le hasard intervient, par contre, c’est quand le film nous emmène dans des endroits imprévus, quand les spectateurs développent une tolérance inattendue à ce que vous leur proposez. Je craignais que certaines scènes aient du mal à passer parce que les gens se poseraient la question du pourquoi et du comment. Mais ils m’ont dit: « On s’en fout! » Si le charme du film opère, ça vous donne une marge énorme pour emmener le spectateur plus loin…

Comment écrivez-vous le scénario?

Il y a deux choses. D’abord un cahier de notes, où j’inscris des idées, des dialogues, des fantasmes (par exemple, pour mon prochain film, une scène éclairée aux lucioles, comme en rêve Apollinaire dans un de ses poèmes). Je l’appelle le coffre à jouets. Et puis, plus difficile, il y a la tentative de raconter une histoire. Je fais plein de petits papiers que je colle sur un grand tableau, et que je modifie jusqu’à ce qu’il y ait un début, une fin, et un récit entre les deux. Les répliques, les gags, le découpage, ne peuvent venir que quand je suis parvenu à ça. Balzac a une phrase terrible, où il dit que seuls les grands artistes sont capables de grands plans. Moi, je suis dans les petits plans (rire)! Le mec qui a tout son plan, toute son histoire, dans la tête, lui il est vraiment fort…

Comment le film est-il né?

J’avais vu et aimé le documentaire de Depardon sur la justice, 10e Chambre – Instants d’audience. Très vite je me suis dit que ce serait marrant qu’une juge ait une histoire d’amour avec un jugé. Que ce serait même bien qu’elle soit enceinte. Une situation impossible, bien sûr! Raison de plus pour essayer de la raconter, de la rendre possible. Il y avait aussi cette idée, qui est dans tous mes films, de gens qui se rencontrent alors qu’ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Des gens tous décalés. Un juge, ça joue un rôle. La justice est une comédie tragique.

Avez-vous pensé immédiatement à Sandrine Kiberlain?

J’ai vu de nombreuses comédiennes, et ça ne fonctionnait pas. Personne ne semblait capable d’incarner ce personnage, de lui donner vie. Sandrine -qui travaille trop- n’était pas entrée en ligne de compte, n’étant jamais disponible. C’est au moment où j’abandonnais le projet qu’elle m’a fait savoir, via un agent, qu’elle aimerait jouer la juge. J’ai exigé des essais, qu’elle a accepté avec humilité. Elle s’est vue dans le rôle beaucoup plus que moi je ne l’y avais vue. Et elle avait raison!

Quand vous faisiez de la scène et de la télévision, vous ne rêviez que de cinéma. Etait-ce déjà ce cinéma que vous faites aujourd’hui?

Tout ça, c’était de l’alimentaire, pour avoir les moyens de faire des films. Le tout premier, un court-métrage (Désiré),a mangé mes économies… Oui, c’était déjà ce cinéma-là, celui que j’admirais comme Brazil de Gilliam et les premiers films des frères Coen. Un cinéma qui joue beaucoup sur l’image, où la caméra raconte des choses qu’on ne peut pas raconter avec des mots. Et avec des propos que certains qualifient de déviants (rire)…

(1) LES SPECTATEURS VIENNENT ASSISTER À UNE « MASTER CLASS » ANNONCÉE SUR FACEBOOK ET QUAND ILS SONT DANS LA SALLE, ON LEUR MONTRE LE MONTAGE PROVISOIRE DU FILM. DUPONTEL S’ASSEYANT TOUT AU FOND « EN LOUCEDÉ » UNE FOIS LE NOIR FAIT POUR OBSERVER LES RÉACTIONS, UN CAHIER DE NOTES À LA MAIN.

RENCONTRE Louis Danvers

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