Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

TENNESSEE WILLIAMS NOUS LAISSE UNE OUVRE SENSUELLE, HYPER HUMAINE EN MÊME TEMPS QUE TOTALEMENT ANIMALE.

Il fut élevé dans le puritanisme sudiste avant de mener une vie débridée dans le French Quarter de La Nouvelle-Orléans, Carson McCullers et Gore Vidal furent ses âmes s£urs, il partagea sa vie entre un petit bungalow de Key West et un appartement de la 58e rue, il aima passionnément les hommes. L’£uvre protéiforme de Tennessee Williams est faite d’ombres et de lumières, relativement méconnue en Europe une fois qu’on quitte les autoroutes que sont les Tramway nommé désir et autre Chatte sur un toit brûlant. Une £uvre qu’on est loin d’avoir épuisée: sous la vingtaine de pièces disponibles en français se cacheraient une centaine d’autres non encore traduites. Né Thomas Lanier Williams il y a juste 100 ans à Columbus (Mississipi) au c£ur d’une petite bourgeoisie blanche protestante plutôt anxiogène et détraquée, le jeune garçon se réfugie rapidement, solitaire, derrière les touches de sa machine à écrire. Classique, mais imparable révélation d’écrivain. L’homme publie sa première histoire à 17 ans, balbutiements d’une £uvre dramatique triomphale qui lui fit mordre dès les années 40 une gloire jeune et tourbillonnante. Tennessee décline alors son £uvre sur plusieurs fronts: pièces de théâtre, bien sûr, mais aussi volée de nouvelles, rares romans et mémoires. Sous sa plume obsessionnelle, une même histoire peut adopter une série d’apparences mouvantes au cours d’infinies réécritures, poursuivies parfois sur plusieurs années. Si Williams a l’angoisse du point final, c’est qu’il n’a de cesse de s’y mettre en scène, paradoxalement à nu dans ses fictions, déguisé dans ses mémoires. L’homme n’était pas à une contradiction près. A l’image de Dionysos, auquel il s’identifiait complètement, dieu androgyne, à la fois végétal et bestial, sensible et violent. Une dualité qu’il creuse aussi chez ses personnages, s’évertuant à balayer tout archétype et guettant -véritable marque de fabrique- la part animale tapie en chacun d’eux. Celui qui se faisait appeler « Vieux crocodile » ou « Oiseau glorieux » filait la métaphore jusque dans sa défense d’une écriture sauvage:  » Je crois qu’écrire, c’est poursuivre sans cesse une proie qui vous échappe et que vous n’attrapez jamais. »

Entre cimetières et désir

Toute l’£uvre de Williams s’attache à une existence placée sur cette corde raide entre pulsions de vie et de mort. En témoignent les emblématiques lignes de tramway « Désir » et « Cimetières » de La Nouvelle-Orléans dont il usa pour sa célébrissime pièce. L’histoire est connue: pour arriver à destination, l’héroïne devait emprunter la première puis la seconde.  » Le génie de Tennessee fut de valider nos tickets de correspondance de l’une à l’autre« , dira son ami Gore Vidal. Le désir, véritable force motrice qui met en branle le dramaturge:  » Je suis incapable d’écrire la moindre histoire si je n’y introduis pas au moins un personnage pour qui j’éprouve un désir physique.  » En ce compris les hommes. Homosexuel notoire, T.W. fait fureur en osant lâcher le fauve qui grondait jusque-là sous le costume cravate du héros classique, en érigeant le mâle en objet de convoitise. Le héros williamsien, incroyablement sexué, est l’un des premiers à afficher ostensiblement sous un muscle large et une sueur négligemment offerte une puissance brute et une ardeur suggestive. Si Tennessee était extrêmement soucieux de sa réception, il était aussi capable d’entendre la résistance de ses lecteurs à l’égard du plus audacieux de son travail. Mais ne fit jamais pour autant de concessions à sa destinée, littéralement rivée à l’écriture:  » Peut-être suis-je une machine, une machine à écrire, contrainte et forcée.  » Une machine qui, avec le temps, prit pour habitude de carburer à l’alcool, au sexe et aux médocs et qui quitta la lumière pour une chute qui n’en fut que plus vertigineuse. Lui qui sut si bien mettre en scène ces êtres en perte de vitesse au moment de franchir l’autre moitié de vie, continuant à brûler d’un désir sans plus d’interlocuteurs, quitte alors son seul grand amour Frank Merlo pour flirter avec les scandales, la désintox, les passages à vide et les critiques acerbes. Avant de se ressaisir à l’aube des 70’s, à temps pour publier ses sulfureuses Mémoires. Et confesser cette peur qui le hantait en particulier : « celle de mourir seul, par suffocation », en écho à l’une de ses terribles nouvelles ( Sucre d’orge), décrivant la mort par asphyxie d’un vieillard lubrique. Avec de tels effets d’annonce, Tennessee préparait sans le savoir la sortie la plus romanesque de toutes les morts absurdes: on le retrouvera un matin de février 1983, seul dans une chambre d’hôtel, probablement étouffé avec la capsule du flacon de ses inséparables médocs… Du désir au cimetière, voilà Tennessee Williams bel et bien arrivé à destination. l

u THÉÂTRE, ROMAN, MÉMOIRES, COLLECTION BOUQUINS CHEZ ROBERT LAFFONT. NOUVELLES INTÉGRALES DISPONIBLES EN 3 TOMES CHEZ PAVILLONS POCHES .

YSALINE PARISIS

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