ANDRÉ TÉCHINÉ RETROUVE L’ADOLESCENCE DANS QUAND ON A 17 ANS, OÙ, RENOUANT AVEC L’HUMEUR DES ROSEAUX SAUVAGES, IL SONDE LA RELATION S’ESQUISSANT ENTRE DEUX JEUNES GENS.

Inscrit dans les paysages des Hautes-Pyrénées, Quand on a 17 ans (lire critique en page 28) voit André Téchiné renouer avec l’humeur des Roseaux sauvages, le film qu’il tournait, il y a un peu plus de 20 ans, avec Elodie Bouchez, Gaël Morel et Stéphane Rideau, et à la faveur duquel il remontait le temps jusqu’à l’époque où il avait lui-même 17 ans. Si le contexte est différent, la guerre d’Algérie ayant fait place aux opérations militaires extérieures que l’on connaît désormais, ce nouvel opus vibre de cette même fièvre adolescente, venue s’emparer de Damien et Tom (les excellents Kacey Mottet Klein et Corentin Fila), deux jeunes gens dont l’histoire va orchestrer la rencontre suivant l’arythmie des désirs qui affleurent, sous le regard de la mère de l’un d’eux (Sandrine Kiberlain). « Ce que j’ai voulu montrer, c’est comment deux adolescents d’aujourd’hui vont faire leur apprentissage pour aborder le monde des adultes, commence le réalisateur, rencontré à l’occasion de la Berlinale. Il y a évidemment la part d’apprentissage scolaire et l’instruction, l’apprentissage affectif et sexuel et, enfin, l’apprentissage d’un monde adulte qui est en guerre. Et je voulais montrer combien ce dernier, où l’on peut mourir, est différent du monde des adolescents, où s’ils se battent aussi, c’est encore comme des enfants immatures. »

Construire un pont

Pour l’aider à capter cet éternel adolescent résistant aux fluctuations du temps –« les aspirations sont les mêmes, ce n’est pas l’adolescence qui a changé, mais le monde et la société »-, André Téchiné a fait appel à Céline Sciamma, la réalisatrice de Naissance des pieuvres et Bande de filles, co-auteure du scénario. « Je trouvais important d’établir un dialogue avec les nouvelles générations de cinéastes, et j’ai choisi Céline parce que j’appréciais beaucoup son regard sur l’adolescence. Dans ma démarche, j’avais envie non pas de me replier sur moi-même, mais bien de construire ce pont, afin d’enrichir le travail. » Initiative dont le réalisateur n’a eu qu’à se féliciter, sa partenaire d’un film y apposant sa touche singulière: « Habituellement, avec d’autres scénaristes, il y a beaucoup de quantité. Ils apportent énormément de choses que je dois réduire à l’essentiel. Alors que Céline fait un travail très concis et très minimaliste, avec un grand souci d’unité. Ce qui m’a laissé beaucoup de liberté pour faire des enquêtes, me documenter et pour puiser dans la réalité des choses concrètes. »

La présence au générique de Céline Sciamma n’est sans doute pas étrangère non plus à l’énergie émanant du film. Quand on a 17 ans recourt en effet à une grammaire éminemment physique, où les corps imposent le tempo en amont de toute formulation verbale. « L’adolescence possède une spontanéité physique entière, indivisible, qu’on perd par la suite avec le caractère utilitaire du monde adulte, poursuit André Téchiné. Il était essentiel pour moi de partir du corps alors qu’eux-mêmes ne sont pas encore capables de comprendre ou de verbaliser leur expérience. Et qu’ils soient en train d’explorer avec leur corps un monde qu’ils ne connaissent pas, se débattant entre deux pôles, enfance et adulte. » A cet effet, le réalisateur, dont la maîtrise de la direction d’acteurs n’est plus à souligner, a laissé, dans un premier temps tout au moins, une grande liberté à ses jeunes interprètes. Manière, explique-t-il, de se rendre disponible à leur fraîcheur, avant de resserrer le cadre au fil des prises, le montage faisant par ailleurs cohabiter des scènes ultraprécises avec d’autres, encore indécises et tâtonnantes. Au plus près de la vie, en somme, même si le souffle romanesque l’emporte sur le naturalisme -pour peu, l’on jurerait avoir affaire à quelque Brokeback Mountain des Pyrénées. « Je n’ai jamais fait du cinéma naturaliste. Simplement, il y a des variations. Dans Quand on a 17 ans, on embarque dès le générique dans la folie d’une histoire. Et certaines scènes sont, à mes yeux, aussi expressionnistes et stylisées que dans mon film Barocco. » Façon de dire que si l’industrie du cinéma a, sans conteste, beaucoup changé, Téchiné, lui, a maintenu le cap depuis l’époque où il réunissait Isabelle Adjani et Gérard Depardieu devant sa caméra, il y a tout juste 40 ans. « On essaie de faire des films en s’adaptant au changement, analyse-t-il. Il est de plus en plus difficile pour moi de faire des films basés sur des sujets originaux, alors qu’avant, dans le cinéma d’auteur, on proposait un sujet original et les producteurs l’acceptaient. C’est désormais beaucoup moins aisé: le dernier sujet original que j’avais tourné avant Quand on a 17 ans, c’était Les Témoins. Depuis, j’ai fait trois films de commande qui m’ont été proposés par des producteurs -des films beaucoup plus industriels et moins artisanaux. Dans ma vie personnelle de cinéaste, j’ai ressenti que l’industrie se méfiait de plus en plus de l’expérimentation, et du cinéma d’auteur. Dans ces conditions, j’essaie, pour continuer de travailler, de m’adapter à un cinéma de commande en veillant toutefois à ne pas faire de films trop standardisés. »Une stratégie avec ses hauts et ses bas, Quand on a 17 ans arrivant à point nommé pour démontrer qu’à 73 ans, André Téchiné n’a certes pas perdu la main -Smells like teen spirit?

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Berlin

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content