Une femme cinéaste triomphe pour la première fois aux Oscars. Et avec un film de guerre encore bien! Une consécration doublement significative et absolument justifiée.

La journée de la femme ne pouvait mieux commencer qu’avec cette annonce, venue de Hollywood, d’un triomphe féminin au palmarès des Oscars. L’admirable The Hurt Locker ( Démineurs en vf) a raflé la mise avec 6 récompenses dont 3 essentielles: meilleur film, meilleure réalisatrice et meilleur scénario original. Une belle razzia pour Kathryn Bigelow, le tout au nez et à la barbe d’un certain James Cameron, ex-mari de la cinéaste et dont le spectaculaire Avatar n’est reparti qu’avec des prix techniques.  » S’il existe une résistance (à Hollywood) au fait que des femmes réalisent des films, j’ai choisi de les ignorer, déclara un jour Bigelow, et ce pour 2 raisons: je ne peux changer de sexe, et je refuse d’arrêter de faire des films. » Une motivation des plus carrément basiques, pour une artiste qui n’a jamais caché son féminisme tout en faisant carrière dans le cinéma de genre volontiers violent, le domaine le plus supposément masculin de la production made in USA… Un film de motards ( The Loveless) et un autre de vampires ( Near Dark) l’avaient révélée, le polar ( Blue Steel, Point Break) puis la science-fiction ( Strange Days) ont ensuite suscité sa passion créatrice. Et si elle choisit alors de placer une femme au centre d’un film, c’est d’une guerrière, Jeanne d’Arc, qu’il serait question dans Band Of Angels. Un projet ambitieux, qui ne vit jamais le jour (Bigelow accusant Luc Besson d’avoir plagié son script pour Jeanne d’Arc), et dont le non-aboutissement fut un frein douloureux à la trajectoire de la réalisatrice. Laquelle n’émergea d’une suite de travaux essentiellement télévisuels (si l’on met de côté The Weight of Water et K19: The Widowmaker) que pour signer… The Hurt Locker. La consécration de cette £uvre majeure prend ainsi, et aussi, les allures d’une réparation à l’égard d’une réalisatrice au talent exceptionnel, à laquelle le système pardonna moins qu’il ne l’aurait fait à un homme, et qui aura dû attendre une trentaine d’années la reconnaissance que son apport méritait assurément.

Les faits rien que les faits

Le meilleur film américain de 2009 est donc un film de femme, et un film de guerre. The Hurt Locker nous plongeant avec un réalisme époustouflant dans l’univers d’une équipe de démineurs de l’armée américaine effectuant leur périlleuse mission en Irak. D’autres films avaient abordé de manière marquante l’engagement militaire américain au Proche et Moyen-Orient. Syriana, In The Valley Of Elah, Redacted, Grace Is Gone, Jarhead et Body Of Lies ont notamment creusé la question sur le mode de l’analyse critique ou du deuil familial, du pseudo documentaire engagé ou du pur divertissement fictionnel. Même… Avatar inclut dans sa saga de science-fiction des références (appuyées) aux positions de l’ex-président Bush sur  » la guerre contre la terreur » et pour le contrôle des sources d’énergie. L’approche de Kathryn Bigelow est bien différente et très particulière. La réalisatrice se revendique depuis toujours de l’héritage d’Howard Hawks, le grand cinéaste (mort en 1977) du premier Scarface mais aussi de Only Angels Have wings, The Big Sleep, Red River et Rio Bravo, pour ne citer que quelques sommets du cinéma des années 30 à 60. Etre  » hawksienne« , comme le dit très bien Bigelow, c’est préférer les faits à la psychologie, définir les personnages par ce qu’ils font, par les actes posés dans le cadre de leur métier, plutôt que par leurs intentions, se placer à hauteur d’homme sans poser de jugement simpliste. The Hurt Locker est exemplaire à cet égard aussi, se gardant bien de tout discours imposé (politique, notamment) pour filmer  » des gens en train de faire ce qu’ils font« , d’en mourir parfois, d’en devenir souvent « accros » à la guerre, au point de ne pouvoir s’en passer. Comme le montre la fin du film où même l’amour paternel le plus sincère n’empêche pas le personnage principal de reprendre le chemin de la vie militaire au (grand) risque d’y laisser sa peau. Aucune idéologie, même pacifiste, dans cette conclusion. Juste un constat nourri d’observation humaine. Howard Hawks, dont une autre caractéristique est d’avoir toujours fait des femmes de ses films l’égale absolue des hommes (voir ses comédies Bringing Up Baby, His Girl Friday ou Gentlemen Prefer Blondes), aurait sans nul doute apprécié le triomphe aux Oscars de la grande Kathryn. Une réalisatrice dont ce succès justifié devrait relancer une carrière longtemps et tristement mise en veilleuse.

Voir aussi la critique DVD de The Hurt Locker en page 33.

Texte Louis Danvers

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