Leon Bridges, l’écume des nuits: « Les gens ont vite tendance à ranger les artistes noirs dans une case »

L'élégance de Leon Bridges, moins rétro, toujours classique.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son nouvel album, Leon Bridges délaisse sa garde-robe rétro pour creuser une soul capiteuse, toujours inspirée des classiques, mais désormais plus profonde et personnelle.

Pour la première fois de la conversation, la voix grave et posée de Leon Bridges s’anime. « Une chose que j’ai remarquée, en particulier avec les artistes noirs, c’est que les gens ont vite tendance à les ranger dans une case. » Pas besoin de le pousser pour qu’il développe. « Quand j’ai sorti mon premier album, on m’a étiqueté chanteur rétro. Aujourd’hui, il suffit que je fasse un truc aussi simple que danser sur un beat hip-hop sur Instagram, et j’ai droit à des commentaires du genre: « L’ancien Leon me manque« . Pourtant, tout ça fait partie de ma culture! Je veux pouvoir bouger aussi bien sur James Brown que sur Kendrick Lamar. Quelque part, ce nouvel album est un peu une réponse à ça. La soul est toujours le fondement de ma musique. Mais en la faisant évoluer, en lui faisant essayer d’autres habits. »

De fait. Paru la semaine dernière, Gold-Diggers Sound, le troisième album de Leon Bridges, approfondit le son qui l’a fait connaître. Toujours un peu vintage dans l’esprit, il est moins imprégné de tournures rétros. Comme celles, par exemple, qu’il arborait, jusque dans son look fifties, sur son premier album, Coming Home, en 2015. Leon Bridges s’inscrivait alors dans une tradition. Celle d’une musique r’n’b-soul qui a évolué, muté, mais qui a également établi ses canons, régulièrement réactivés dans les hit-parades -d’Amy Winehouse à Bruno Mars et Anderson .Paak (leur duo Silk Sonic).

Jusqu’ici, ce parti pris classiciste a plutôt réussi à Leon Bridges. En 2018, son deuxième album, Good Thing, s’est même retrouvé nommé deux fois aux Grammys -remportant celui de la Best Traditional R&B Performance pour le single Bet Ain’t Worth the Hand. De quoi le conforter dans ses choix? Pas forcément…

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Texas son

« Après l’enregistrement de mon deuxième album, je n’avais plus envie de répéter les mêmes schémas. Il m’a fallu du temps pour trouver comment faire. » La solution, Leon Bridges va la dénicher du côté de Los Angeles, aux studios Gold-Diggers. Sur Santa Monica Blvd, la façade anonyme cache toute une histoire. Construit en 1924, l’endroit a d’abord ouvert comme taverne, avant de servir de plateau de tournage au « plus mauvais réalisateur de tous les temps », Ed Wood. Durant les années 60, le lieu a été transformé en local de répétitions -il aurait vu passer les Doors et Jimi Hendrix. Finalement, c’est un strip club que les propriétaires actuels ont récupéré, pour en faire un complexe rassemblant hôtel, bar et studios hyperéquipés. C’est là que Bridges a atterri. Il va s’y terrer pendant plusieurs mois. « Je sentais que le seul moyen de débloquer les choses était de m’enfermer et de m’immerger complètement dans la musique. Pour la première fois depuis longtemps, je me suis senti libéré. »

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Le chanteur enregistre alors principalement durant la nuit, avec l’idée de développer « un son à la fois plus sombre et plus sexy« . Tous les soirs, vers 19 heures, Bridges arrive au studio, une bouteille de tequila à la main, pour créer et jammer jusqu’à l’aube avec ses potes musiciens. D’où sans doute une musique désormais plus charnue et organique, au feeling presque jazz -ce n’est pas un hasard si des musiciens comme Terrace Martin ou Robert Glasper font partie du casting. Parce que c’est aussi une musique qui l’a nourri? « Oh man, je ne vais pas faire semblant, mes connaissances en jazz restent superficielles. Mais j’ai la chance de venir d’un endroit dont est issue une incroyable lignée de jazzmen: Ornette Coleman, King Curtis, Cornell Dupree, etc. Ils ont tous été à l’école dans le quartier où j’ai grandi. »

L’endroit en question s’appelle Fort Worth, un peu moins d’1 million d’habitants, à une demi-heure de Dallas, Texas. L’État dont est également originaire le trio psyché-exotica-funk Khruangbin. L’an dernier, Bridges a d’ailleurs collaboré avec eux, le temps d’un EP intitulé Texas Sun, dont on retrouve certaines couleurs dans Gold-Diggers Sound. « Je ne dirais pas que la musique de Khruangbin a directement influencé le nouveau disque, mais il est certain que le chanteur que vous entendez sur Texas Sun a laissé des traces sur celui que je suis aujourd’hui. » Soit un auteur plus libéré, qui continue de cultiver son identité musicale, l’étendant à un son volontiers plus « psychédélique, une sorte de r’n’b progressif. »

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Sur le fond aussi, Bridges, 32 ans, approfondit et nuance ses romances sentimentales. Comme souvent chez ses illustres prédécesseurs, elles oscillent entre le charnel (Sho Nuff) et le spirituel (Blue Mesas). Ici et là, il y glisse également des reflets plus contemporains. « It feels good to be alone« , chante-t-il par exemple sur Born Again, comme tiraillé entre l’ultramoderne solitude et l’hyperconnectivité de l’époque. « Quelque part, la pandémie m’a permis de rattraper celui qui n’arrêtait plus de courir depuis des années. Bien sûr, le virus était anxiogène. Mais le confinement m’a permis de me déconnecter d’une série d’obligations et de stress. » Il lui aura peut-être aussi permis d’aller sur des terrains plus « engagés ». Deux semaines après la mort de George Floyd, il sortait ainsi le single Sweeter -« Hoping for a life more sweeter/Instead I’m just a story repeating« … Est-ce naïf de lui demander si, en grandissant au Texas, dans ville ne comptant pas 20% de Noirs, il a été particulièrement exposé au racisme? « L’erreur serait de penser qu’on ne trouve ce racisme que dans le Sud, alors qu’il est répandu partout aux États-Unis. La mort de George Floyd l’a rappelé de manière frappante. Pourquoi a-t-elle eu un tel impact? Parce que le meurtre était tellement flagrant, choquant. Je me rappelle avoir regardé la vidéo et m’être effondré complètement. C’est la première fois que je pleurais pour un homme que je ne connaissais pas. » Il marque une pause, hésite, puis reprend. « Face à ça, j’ai l’impression que la seule réponse que je peux donner, c’est ma musique. En espérant qu’elle puisse ouvrir l’esprit des gens… »

Leon Bridges, Gold-Diggers Sound, distribué par Sony. ****

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