AVEC LA SORTIE SIMULTANÉE DE OMAR M’A TUER ET DE PRÉSUMÉ COUPABLE, LES ERREMENTS DE LA JUSTICE FRANÇAISE S’INVITENT À L’ÉCRAN. EXAMEN DES PIÈCES À CONVICTION EN COMPAGNIE DE PHILIPPE TORRETON ET SAMI BOUAJILA.

Il en va des affaires judiciaires comme du pouvoir politique: si son homologue anglo-saxon s’y est régulièrement frotté, le cinéma français s’en est généralement tenu, pour sa part, à une certaine réserve. Certes, il y a bien quelques antécédents, en forme d’exceptions à la règle. Prestigieux pour les uns, comme Costa-Gavras revisitant l’histoire politique internationale d’un objectif engagé pour dénoncer aussi bien la dictature des colonels en Grèce dans Z que le coup d’état de Pinochet dans Missing. Plus besogneux pour d’autres, comme Yves Boisset passant à la caméra scalpel la société française des années 70, et s’appuyant, au besoin, sur des affaires plus ou moins célèbres, tant dans La Femme-flic, avec Miou-Miou, que dans Le J uge Fayard dit le Shériff, avec Dewaere -toute une époque.

Mais s’il a su rester en phase avec le réel, sans se détourner en rien de son engagement d’ailleurs, le cinéma français n’a plus que rarement ensuite questionné directement des affaires, qu’elles soient judiciaires, politiques ou économiques -ou alors, pour les emmener sur un autre terrain, pas moins fécond d’ailleurs, comme Laurent Cantet le fit de l’affaire Romand dans L’Emploi du temps ou, plus récemment, Lucas Belvaux de l’enlèvement du baron Empain dans Rapt. Faut-il croire pourtant que la réalité est plus forte que la fiction: voilà, désormais, qu’elle s’invite à l’écran tous azimuts: sous la forme de biopics polémiques façon Mesrine; de reconstitution musclée genre L’Assaut; de chronique politique décalée sur le mode de La Conquête. Et, enfin, en revisitant ces jours-ci 2 affaires judiciaires ayant, et pour cause, fait grand bruit en leur temps: le meurtre de Ghislaine Marchal dans Omar m’a tuer, et le scandale d’Outreau dans Présumé coupable. « Je ne crois pas qu’il y ait là une raison particulière, il y a parfois des hasards, observe Philippe Torreton. Si ça peut être le signe qu’après les films des années 70, on peut réserver une petite part du camembert à un cinéma qui interroge nos faits de société, le monde du travail, ce qu’on vit, je ne serais pas contre. Je pense que plus il y aura de Xavier Beauvois, de Vincent Garenq, de Mathieu Kassovitz, mieux le cinéma français se portera.  »

Torreton est magistral dans Présumé coupable, où il campe Alain Marécaux, un homme broyé par la moulinette d’Outreau, et l’auteur du livre qui a inspiré le film de Vincent Garenq. Sa perfomance y résonne comme un cri, de désespoir puis d’indignation, écho de celui dont il explique avoir ressenti l’envie à la lecture du scénario, devant « l’horreur de tout cela: c’est une affaire où, à l’origine, il y a des enfants violés, qui ont vécu un enfer. Et suite à ça, on va rajouter des victimes, et faire vivre un calvaire judiciaire à des gens qui n’ont rien à voir ». Observation qu’il assortit d’un néologisme: « C’est cruellement, déliremment absurde.  »

Quant à la capacité du cinéma de fiction, et même sa vocation à se colleter avec de tels drames, l’acteur a sa théorie sur le sujet. « Notre film est une fiction: je ne suis pas Alain Marécaux, j’ai joué Alain Marécaux. En le faisant comme ça, on peut vraiment montrer des choses aux gens. Même le plus beau documentaire, signé par le plus grand journaliste du monde, ne pourra, sur n’importe quel sujet, montrer certaines images. A un moment donné, la caméra du reporter s’arrête: elle ne peut pas être dans une prison, ni au moment d’une perquisition, ni dans les yeux de quelqu’un qui se fait arrêter et ne comprend pas, quelqu’un qui a peur de se faire violer dans sa cellule par les autres qui disent qu’il est un pointeur… La caméra du reporter ne peut pas, celle du cinéaste, oui. Et c’est une des grandes forces du cinéma. «  Et de ponctuer la réflexion sur un parallèle entre Ça commence aujourd’hui, qu’il tourna pour Bertrand Tavernier, et le documentaire Etre et avoir de Nicolas Philibert, qui naviguait dans les mêmes eaux: « Nos 2 films étaient souvent associés. J’adorais Etre et avoir , mais on voyait bien la différence de traitement: la caméra de Etre et avoir ne peut se faire oublier dans la classe comme celle de Tavernier, où on a reconstitué une classe. C’est tout le paradoxe de notre métier d’interprétation: en jouant à quelque chose, en le recréant, en faisant semblant d’être vraiment, on peut plus montrer la réalité qu’avec un cahier des charges de journaliste et une caméra de reporter. Et cette fonction-là est très importante. « 

Le cynisme de l’époque

S’agissant de l’impact de Présumé coupable, Philippe Torreton ajoute: « Pour moi, le film a déjà rempli sa mission auprès d’Alain Marécaux, et c’était la fonction première. Même s’il y en a d’autres: ce serait bien que ça fasse réagir, et que les gens s’emparent du film.  » A cet égard, et même si comparaison n’est pas raison, les enjeux étant sensiblement différents, un film comme Indigènes, de Rachid Bouchareb, est là pour rappeler la capacité du cinéma à faire bouger les choses. Sami Bouajila, qui en fut, avant de camper aujourd’hui un inoubliable Omar Raddad dans Omar m’a tuer (lire par ailleurs), porte sur la question un regard non dénué de pertinence: « Ça peut être rageant de se dire qu’il y a des gens qui consacrent leur vie au militantisme et font tout le travail dit de fond, pour voir, au terme de x temps, arriver quelques zozos du cinéma qui, en un an ou 2, ramènent un tel coup de projecteur que les choses se décantent. C’est le cynisme de notre époque, où on est conditionnés par l’image, les médias et la communication. On a conscience de cela, sans être dupes. « 

Du bon usage des images, en somme. L’époque étant ce qu’elle est, justement, quoi de plus naturel aussi, que de voir le cinéma se faire l’écho ou le révélateur de crise(s), sociétale ou morale, par affaires interposées au besoin. Un dossier qui ne semble pas près de devoir se refermer: Nos enfants, le prochain film de Joachim Lafosse, le verra ainsi envisager l’affaire Lhermitte, qui avait secoué la Belgique en 2007, dans une perspective sociétale…

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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