Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

Après 50 ans de carrière, le saxophoniste britannique Evan Parker symbolise ce que la musique improvisée a de plus singulier et créatif.

EVAN PARKER/AGUSTI FERNANDEZ

« THE VOICE IS ONE »

NOTTWO MW878-2 (WWW.INSTANTJAZZ.COM)

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EVAN PARKER – JOHN EDWARD – EDDIE PRÉVOST

« ALL TOLD / MEETINGS WITH REMARKABLE SAXOPHONISTS – VOL. 1 »

MATCHLESS RECORDINGS MRCD 081 (WWW.INSTANTJAZZ.COM)

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(1)?DÉFINI AINSI (« THE MUSICIAN WHO NEVER BREATH« ) PAR LA CRITIQUE AMÉRICAINE DES ANNÉES 90.

Deux albums, tous deux sublimes, sont venus démontrer si besoin était qu’à 69 ans Evan Parker -le musicien qui ne respire jamais1, restait l’un des fleurons de la scène européenne de la musique improvisée, qu’il se produise en solo (comme au De Singer, un club belge proche de la Hollande, avant d’être rejoint par le percussionniste Paul Lytton), en duo ou en trio (ce qu’illustrent les deux disques sous rubrique) ou dans toute autre formule (même si ces trois-là sont, à notre avis, celles qui lui conviennent le mieux). Evan Parker s’est révélé dès 1966 au sein d’un groupe qui avait pour leader le regretté John Stevens, batteur inoubliable et pédagogue inspiré. Jouant du soprano et du ténor (formule instrumentale empruntée à Coltrane), Evan, deux ans plus tard, sera l’un des trois saxophonistes (avec Willem Breuker) du fameux et incontournable Machine Gun de Peter Brötzmann, album emblématique qui fera découvrir le free made in Europe aux Etats-Unis comme au Japon ou, encore… en Europe -celle-ci, totalement stupéfaite de se découvrir des musiciens capables de concurrencer, avec une énergie aussi impressionnante qu’extrême, les Afro-Américains.

Evan Parker est considéré comme l’autre tête de pont du saxophone européen. Si elles se croiseront souvent, les carrières respectives de Brötzmann et d’Evan Parker différeront sur l’essentiel: leur vision de l’improvisation. Attaché au free jazz, l’Allemand, musicien surpuissant (sorte de croisement entre Sonny Rollins et Albert Ayler), n’a que peu évolué depuis l’époque révolutionnaire qui le vit se révéler, là où l’Anglais a connu plusieurs phases à travers lesquelles il se détachera de ses influences (Coltrane, Lacy) pour devenir le plus original des deux et un modèle pour nombre de saxophonistes, y compris américains. Spécialiste de la respiration circulaire (respirer tout en continuant à jouer), il peut tenir pendant des dizaines et des dizaines de minutes sans en être affecté. Et s’il n’est pas le seul à maîtriser cette technique, il est le plus spectaculaire. Le disque co-signé avec Agusti Fernandez dans ses plages solitaires, illustre parfaitement cet aspect de son jeu, avec lequel il réussit à faire sonner simultanément tous les registres de l’instrument, tout en créant une forme de musique répétitive qui lui est propre. Avec d’autres musiciens, il ne cherche jamais à imposer sa forte personnalité mais tente toujours de trouver un terrain d’entente le plus idéal possible avec son ou ses partenaires du moment, comme le démontre The Voice Is One. Le trio initié par l’immense batteur-percussionniste qu’est Eddie Prévost se situe dans une autre sphère, celle où Parker se retrouve entouré de vieux complices. Le challenge alors, c’est de renouveler musicalement des complicités déjà rôdées. Ce que les trois hommes font, ici, parfaitement à travers une musique presque sage qui semble se donner immédiatement, alors que plus secrète, elle ne se livre profondément qu’après plusieurs écoutes.

PHILIPPE ELHEM

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