Cabane, l’art et la tanière: « J’aimerais revenir à l’idée que le geste artistique prime »

Thomas Van Cottom n'aime pas s'exposer. Vendeur de chaussettes, très peu pour lui. "J'aimerais revenir à l'idée que le geste artistique prime." © JEAN VAN COTTOM
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Avec son projet Cabane, le Bruxellois Thomas Van Cottom a monté un premier album de chansons folk jusqu’au-boutistes, à la fragilité lumineuse. Le refuge idéal pour les temps tourmentés.

C’est un disque d’une beauté discrète. Et donc rare. Lumineuses, les chansons de Cabane serpentent, ondulent, flottent, se répondent les unes aux autres, sans jamais s’épuiser. Évidemment, au milieu du bruit ambiant, le projet de Thomas Van Cottom ne se fera pas entendre facilement. Dans l’océan du streaming, l’album Grande est la maison est un petit coracle, une frêle goélette autoproduite. Dans l’absolu, il pourrait pourtant revendiquer des ambitions internationales. Chanté majoritairement en anglais, cité par le New York Times ou Libération, il convoque notamment la sommité indie américaine Bonnie Prince Billy (Will Oldham) et l’Anglaise Kate Stables (This Is the Kit), tandis que Sean O’Hagan (High Llamas) a pris en charge les arrangements de cordes, et Caroline Gabard et Sam Genders (Tunng) ont participé aux textes.

Seulement voilà. Thomas Van Cottom n’a pas de label. Il ne donne (quasi) aucun concert. Et il ne fait (quasi) aucune promo. Ce qui peut être une tactique. Pour certains, elle donne d’ailleurs des résultats. Quand vous vous appelez Beyoncé ou Daft Punk, par exemple. Dans le cas de Cabane, c’est plus suicidaire… Avec Jérôme Guiot, Thomas Van Cottom a bien tourné un mini-documentaire sur son album, disponible sur YouTube (ci-dessous). Il y interroge ses proches sur ce qu’il doit en faire. Le musicien Sylvain Chauveau, par exemple, en mode Droopy: « Sur le nombre de disques à presser, il faudrait quand même y aller mollo, hein ». Ou encore le directeur artistique François-Xavier Descamps, fendard: « Si tu me dis « la semaine prochaine je sors mon album sur un label bruxellois », je te dis: personne n’en a rien à foutre, ça c’est sûr, ah ah ah. »

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D’autant que l’intéressé ne donne des interviews qu’au compte-gouttes. D’ailleurs, cet article n’en constitue pas vraiment une. En tout cas pas comme on a l’habitude d’en faire -en face à face, 30 minutes chrono, le plus souvent dans un lobby d’hôtel impersonnel. Cette fois, la rencontre se fera par… mail. Fin février, quand le disque sort, on en envoie un pour fixer un rendez-vous et en parler. « Tout dépend de ce que tu as l’envie et la possibilité de faire. Je refuse pas mal d’interviews (je pense fondamentalement qu’il y a assez de matières avec le docu, l’album et les photos) mais je suis ouvert aux propositions. Encore une fois, aucune obligation, je sais la tonne de choses dont vous avez l’envie de parler chaque semaine. » De fait. L’actualité musicale est un rouleau compresseur, où viennent se fracasser l’incontournable et l’indispensable, les coups de coeur et les plaisirs coupables, les causes communes et les combats plus personnels. Alors, on laisse filer Grande est la maison. Quand on y revient, quelques semaines plus tard, tout est différent. Ou, peut-être, parce que tout est différent, on y revient. Le pays est confiné, et la possibilité d’une interview en face-à-face désormais bancale. « À moins que ça ne soit justement une opportunité pour parler de Cabane autrement? », envoie-t-on alors. Par exemple en prolongeant ce qui deviendrait une correspondance. « On pourrait se donner une semaine. Peut-être dix jours. Et à partir de nos échanges, je pondrai le papier. » Le voici.

Esprit collectif

Dans Une chambre à soi, Virginia Woolf écrivait: « Le monde ne demande pas aux gens d’écrire des poèmes, des romans ou des histoires; il n’a aucun besoin de ces choses. » Pas plus d’ailleurs que de musique.

Pendant cinq ans, étape par étape, Thomas Van Cottom a « construit » sa Cabane dans son coin, conviant les uns et les autres à y mettre leur grain de sel. « J’ai aimé financer l’album en travaillant (j’ai servi des burgers dans un bar, j’ai bossé comme tour manager, aidé comme régisseur pour un théâtre, vidé des entrepôts). J’aime cette idée de l’artisanat, de faire des sacrifices, de trouver ses propres moyens, de travailler la patience. »

Au départ, l’envie est limpide: « Créer des chansons simples autour d’une guitare et de deux voix. Ouvrir ces chansons avec des cordes et quelques choeurs. Rien de plus… Pas de basse, pas de batterie, pas d’arrangements de groupes. Tout ou presque devait être enregistré chez moi (à l’exception des cordes (au studio d’Andy Ramsay (Stereolab), de la voix de Kate (dans la chambre d’hôte de Clementine) et par Will chez lui). J’avoue quand même que j’aurais aimé que l’on puisse s’enregistrer tous ensemble, dans la même pièce pendant quelques jours. Un ou deux micros et hop. »

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Thomas Van Cottom a souvent travaillé en groupe -avant Cabane, il y eut par exemple Soy Un Caballo, avec Aurélie Muller. Cette fois, le montage fut toutefois différent, plus souple, mouvant. « Je ne voulais pas que Cabane soit un vrai groupe. Je pense que c’est une notion dépassée à mon âge. Autant j’ai aimé le sentiment de « testostérone exacerbée » que m’ont procuré mes formations de jeunesse, autant, ici, je ressentais le besoin d’accepter (et de mettre en application) cette idée de la collaboration mesurée… En fonction de l’agenda et de l’envie de chacun. Ce qui change évidemment la temporalité de la création… Quand Will Oldham ne répond pas à tes messages pendant trois mois, ou quand Caroline (Gabard) avec qui tu co-écris les textes des chansons est jeune maman et a d’autres envies et obligations quotidiennes (bien compréhensibles). »

Dans son documentaire, le musicien évoque à un moment l’idée de ne sortir son album qu’en un seul exemplaire. Au final, Grande est la maison est heureusement disponible un peu partout, y compris sur les plateformes de streaming. Jusqu’au-boutiste, mais pas radical non plus. « Je suis le premier des exemples contradictoires… Par exemple en voulant se contenter de gestes artistiques et en inondant malgré tout ma page Facebook des chroniques sur Cabane. »

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La question est donc posée. Quand on consacre autant de temps à un travail, pourquoi ne pas vouloir lui donner plus d’exposition? Quitte à rentrer dans un certain « jeu », celui de la promo, avec ce qu’il peut avoir de frustrant. « Ce qui m’importe vraiment c’est qu’il y ait rencontre, même furtive ou éphémère. Éviter de mon côté de n’être qu’un vendeur de chaussettes, de ne chercher que la lumière et, du côté du journaliste, qu’il y ait un réel engagement. J’aimerais revenir à l’idée que le geste artistique prime, que c’est possible. D’où l’idée d’un documentaire, que l’on a réalisé avec Jérôme, qui n’est pas un outil promo, mais qui est juste un acte où l’on a posé des questions aux gens que j’aime. Encore une fois, c’est l’envie de rencontres et d’en laisser une trace. Qu’est-ce qui fait que certains artistes mettent autant d’énergie (et d’argent) dans un geste artistique alors que personne ne leur a rien demandé? »

La juste place

En réalité, Cabane serait moins un lieu qu’un moment. Moins une « tanière » qu’une manière d’appréhender le temps qui passe. Celui qui est nécessaire pour avancer, parfois pour réparer. Le temps aussi du labeur et de l’artisanat. « Le temps est le trésor vital des casaniers, pointe l’essayiste Mona Chollet dans Chez soi, une odyssée de l’espace domestique. Pour les processus qu’ils espèrent enclencher, il leur en faut beaucoup, bien plus que les normes sociales ne sont disposées à leur accorder. » Dans sa Cabane, le Bruxellois a pu se poser, reprendre son souffle. « Pour moi, c’est un endroit temporaire où se protéger des intempéries. À nous de choisir notre propre définition d’une intempérie… qu’elle soit météorologique, sociale, amoureuse ou politique. »

Thomas Van Cottom met beaucoup d'énergie artistique dans les photos de ses singles.
Thomas Van Cottom met beaucoup d’énergie artistique dans les photos de ses singles.© DR

On repense forcément aux vies passées de Thomas Van Cottom. Par deux fois au moins, elles ont pris la forme de tourbillons. Avec Venus, d’abord, son premier groupe avec Marc Huyghens, qu’il quittera alors que le succès du premier album (Welcome to the Modern Dance Hall, en 1999) leur offrira une signature sur une grosse major française. Avec Stromae, ensuite, dont il sera le tour manager, lors de la tournée Racine carrée, épopée folle dont, comme son principal intéressé, il ressortira passablement rincé. « Je me souviens d’Albin de la Simone me disant « En fait, Stromae c’est ta plus belle erreur« , voulant se réjouir de mon retour à la musique tout en soulignant la beauté du travail que nous avions fait avec Paul, Coralie, Luc… »

Avec Grande est la maison, c’est comme si Cabane s’offrait un pas de côté, regardant les saisons se dérouler (Now, Winter Comes; Until the Summer Comes). Le disque ressemblerait à ces montages où un même décor est pris en photo pendant une année entière, toujours le même, toujours changeant. Le travail photographique de Thomas Van Cottom est d’ailleurs indissociable de Cabane, projet solo à géométrie variable, où l’on entend la voix de Kate Stables, Bonnie Prince Billy, ou celles de l’ensemble Bost Gehio (jouant le rôle de choeur antique); mais jamais celle du maître de cérémonie… « Peut-être que l’on n’a pas besoin d’être en avant pour être présent. Peut-être aussi suis-je enfin à ma juste place? Une place pas très précise et un peu floue, j’en conviens. Un peu contradictoire, pas commune. Cette place que j’aime en tant que photographe. » Un peu plus loin, dans le même message, il continue. « Je me souviens avoir passé ma jeunesse comme gardien de but alors que je me rêvais attaquant… Idem à la batterie alors que je me rêvais guitariste… C’est une fois devant que je me suis rendu compte que j’étais plus à l’aise légèrement derrière. »

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En l’occurrence, cela fait un moment que Thomas Van Cottom a rangé son premier instrument, après une session d’enregistrement « ratée » avec Bonnie Prince Billy. « En rentrant, j’ai quasiment revendu ma batterie et j’ai commencé à apprendre la guitare. » À part une brève boîte à rythme sur Tu ne joueras plus à l’amour, il n’y a donc pas de batterie ou de beat sur Grande est la maison. « Mais est-ce que tu trouves que l’album manque de rythme? Ou tu penses que l’on peut entendre un rythme sous-jacent, sans qu’il y ait le besoin de le souligner par une batterie? Je crois qu’il faut davantage mettre en avant l’absence que la présence. Il y a, pour moi, une forme de facilité, de vulgarité, dans l’idée de vouloir accentuer quelque chose que l’on « entend » déjà très bien. C’est ce que j’aime dans les premiers dessins de David Hockney et dans ceux de Dominique Goblet. L’on y voit des parties de corps et d’un coup, l’attention est dirigée vers ce qui, d’un premier abord, nous manquait… On pourrait finir par ne plus voir que ce qui n’est pas dessiné. « 

De fait, Cabane ne manque pas de rythme. Il est juste intérieur, mouvement plus que tempo. Disque à l’épure folk, Grande est la maison est d’ailleurs aussi un brillant album de soul acoustique – Take Me Home dont la guitare ferait presque penser à celle d’Al Green sur Simply Beautiful. « Je suis content que tu parles de « soul » tant c’est effectivement ce qui me touche. Ces disques de Terry Callier, Al Green, ou Bill Withers. J’ai longtemps eu Lovely day en référence pour Tu ne joueras plus à l’amour.  »

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Huttopia

Une chose encore. Cabane aura eu beau obstiner à tracer sa route parallèle à l’écart des grandes autoroutes musicales, il n’est pas en dehors de son époque. Malgré lui, son propos entre même directement en écho avec l’actualité. Dans un dernier mail, on demande donc: comment l’idée de Cabane résonne-t-elle au moment précis où chacun est appelé à rester enfermé chez soi? La réponse arrive le lendemain, cette fois, sous la forme d’un message vocal. « La seule chose que je peux dire, c’est que, parmi les évidences, il y a eu très tôt le nom du projet et celui de l’album. Même si les deux notions peuvent paraître contraires, elles se parlent terriblement. C’est la phrase que l’on retrouve au début du docu: « Si petite que soit notre cabane, que grande demeure notre maison. » Je ne suis pas un intellectuel, je n’ai pas de message politique ou social. Mais effectivement, on a tous besoin d’un endroit qui est à nous, pour pouvoir se retrouver, se protéger, quelle que soit la forme que peut prendre cet endroit -cela peut être un livre, une passion, une pièce, etc. Mais il ne faut pas oublier pour autant d’ouvrir nos maisons. J’observe nos sociétés se crisper, se réfugier dans un repli, identitaire notamment, chacun se retranchant sur sa culture, son pays, sa région. Je trouve ça hallucinant. » Grande est la maison. Et son sens de l’hospitalité.

Cabane, Grande est la maison. ****

En concert le 08/10, aux Nuits Botanique, Bruxelles.

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