EX-NOIR DÉSIR, LE GUITARISTE SERGE TEYSSOT-GAY MULTIPLIE LES VOYAGES MUSICAUX EXPLORATOIRES, NOTAMMENT AVEC INTERZONE, BLUFFANT DUO HYPNOTIQUE PARTAGÉ AVEC LE OUDISTE SYRIEN KHALED ALJARAMANI. BIENTÔT À L’ESPACE SENGHOR À BRUXELLES.

Tout à coup, il est là, au fond de cette brasserie de la Place de Clichy où il a fixé rendez-vous. Taille moyenne, crâne rasé, joues vieilles de deux jours, engoncé dans un large manteau noir qui lui donne un air de moine-soldat. S’il n’est pas religieux, Serge Teyssot-Gay a une foi absolue dans la musique: « La seule chose qui me fasse véritablement avancer est le besoin de musique, il est physique, je veux aller vers des terrains vierges que je ne connais pas, j’ai besoin d’apprendre, d’expérimenter, de chercher. Dès l’âge de dix ans, je voulais être guitariste, l’écoute de Django Reinhardt m’avait bouleversé.  » Le regard est posé, le visage un peu tendu, la peau tannée. Quand il sourit, la sévérité s’illumine: Serge, 50 ans en mai, a une bonne gueule. Là, il a tombé l’épaisse bure et prend un thé, fatigué du périple de la veille à Genève avec Interzone, son duo avec le joueur d’oud syrien Khaled AlJaramani. Celui-ci a fui son pays il y a un an pour Paris où il attend toujours des papiers définitifs: « Passer la frontière est toujours un peu acrobatique (sourire) et pour Khaled, l’exil est dur, même si sa famille l’a rejoint il y a quelques semaines. Personne ne sait où va son pays.  » La rencontre date de 2002 alors que « Noir Des » (sic) est invité à présenter son rock cathartique à Damas par le CC Français. Khaled est recommandé par un ami commun: « On s’est parlé et puis on s’est revus un an plus tard à Damas où j’ai passé quatre soirées avec lui, composant en commun un morceau par soir. J’étais complètement vierge de musique orientale, et il y a eu une étincelle. On s’est proposé quelque chose, l’un amenant un thème élargi par l’autre, moi à la guitare électrique et lui au oud. Il faut de la volonté pour travailler en duo parce qu’il n’y a pas d’échappatoire: c’est comme une discussion entre deux personnes où tu vas sans cesse davantage en profondeur. Le lien ne se tisse que par affinité, et Khaled, qui était prof au Conservatoire d’Homs et à l’Institut Musical de Damas, est comme moi: il a soif d’expériences.  »

Courtisans et fantasmes

Un premier album puis un deuxième suivent, avec des tournées qui fourmillent surtout en France et au Moyen-Orient. Barclay -label prestigieux d’Universal où Noir Desest signé- encadre le projet, à la recherche de nouveaux espaces. « Le nom du groupe est un contre-pied à l’Interzone décrit par William Burroughs dans Le festin nu, soitun Tanger sous surveillance perpétuelle de caméras (le livre date de 1959…, ndlr). Pour moi, l’Interzone actuel consiste en des zones de liberté à inventer et d’angles morts où l’on peut exister. Créer un antidote, de nouveaux territoires où l’on puisse respirer.  » A ce moment de la conversation, à deux tables de nous, une femme se lève et vient se planter devant notre interlocuteur: « Serge? ». Nono travaillait chez Barclay quand Noir Des y a été signé, en 1986. On sent chez elle de l’émotion et de la retenue mais elle lâche quand même: « Noir Désir, cela a été important pour nous », comprenant que le fulgurant parcours du groupe bordelais est désormais zone de discussion mouvante. Ils échangent leurs numéros, Serge paraît surpris par l’irruption de ce passé-là. Né à Saint-Etienne dans la classe moyenne, il grandit à Bordeaux et rencontre Bertrand Cantat au lycée. Frères d’armes, ils fondent avec le batteur Denis Barthes Noir Desen 1980. Incandescence, lyrisme, hargne politisée, méfiance de l’hyper médiatisation: en six décharges studio, le quatuor dessine une trajectoire conséquente. Le 29 novembre 2010, trois ans après la libération conditionnelle de Cantat (condamné pour meurtre de sa compagne Marie Trintignant en juillet 2003), bien que Noir Désir ait mis en ligne deux nouveaux morceaux, repris Bashung pour une future compilation, STG diffuse un communiqué aussi bref que définitif: « Je fais part de ma décision de ne pas reprendre avec Noir Désir, pour désaccords émotionnels, humains et musicaux avec Bertrand Cantat, rajoutés au sentiment d’indécence qui caractérise la situation du groupe depuis plusieurs années.  » Deux ans plus tard, comment Serge ressent-il cette histoire? « Je ne veux pas répondre à cela (un peu de dureté passe dans le regard) parce que cela amènerait des tas de choses et on n’est pas là pour cela, si? Pourquoi partagerais-je cela avec d’autres? Pendant cette période d’incertitude, 2003-2010, la musique n’a pas changé de fonction, elle a toujours été vitale. Je n’ai jamais cherché le succès dont le côté toxique te décadre des réalités. Tu es obligé de t’en protéger. Ado, j’étais fan d’AC/DC ou des Who mais je n’ai jamais eu envie de les rencontrer, donc, je ne comprenais pas que les gens aient envie de cela avec nous. Ces courtisans et ces fantasmes sont derrière moi et tant mieux…  » Hormis des contacts téléphoniques avec le batteur Barthes, qui réside dans les Landes, et des chèques de disques de Noir Désir qui continuent à se vendre, cette histoire-là semble close. Serge, qui a quitté Universal, a fondé son propre label, Intervalle Triton(…), qu’il gère seul.

Epilogue provisoire

Il serait injuste, seulement pour des raisons d’espace, de ne pas au moins énoncer les autres vies musicales récurrentes de Teyssot-Gay. Parmi elles, son travail avec la clarinettiste américaine Carol Robinson et l' »installateur » Etienne Bultingaire, un duo avec la contrebassiste jazz Joëlle Léandre ou les performances menées live avec le peintre Paul Bloas, à Madagascar et ailleurs. Serge habite Saint-Ouen, banlieue populaire de Paris, il a trois enfants et son frère Thierry est évêque de l’Eglise Gallicane, dissidence catholique. Dissidence et résistance, on doit être comme cela chez les Teyssot-Gay. On sort dans les rues de Paris l’énervée: « J’aime le côté speed de la ville, l’énergie, je ne saurais plus vivre en province, surtout pas à Bordeaux.  » Il remet la vaste capuche de son grand manteau et disparaît dans l’hiver morne. On le recroisera, c’est sûr.

LE 21/02 À L’ESPACE SENGHOR, BRUXELLES; REVIEW DU CD D’INTERZONE EN PAGE 37.

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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