SI LA THÉMATIQUE DES RÉFUGIÉS LUI A DONNÉ SON FIL ROUGE ET UN OURS D’OR, LE FESTIVAL DE BERLIN A AUSSI SU S’OUVRIR À D’INÉDITES AVENTURES ESTHÉTIQUES. RETOUR SUR L’ESSENTIEL ET L’ACCESSOIRE DE CETTE 66e ÉDITION.

De l’Ours d’or octroyé à Fuocoammare de Gianfranco Rosi à l’hommage consacré à la productrice Christine Vachon, panorama des temps forts et autres contrepoints de cette 66e Berlinale à la faveur d’un abécédaire filmé en caméra subjective

AVENIR. L’Avenir donne son titre au film de Mia Hansen-Love, prix de la mise en scène; il s’inscrit aussi en pointillé d’une sélection béant sur des perspectives incertaines, du Hedi de Mohamed Ben Attia au Quand on a 17 ans d’André Téchiné en passant par Les Premiers, les Derniers de Bouli Lanners, et beaucoup d’autres encore…

BELGES. Les prix oecuménique et Europa Cinémas Label pour Les Premiers, les Derniers, de Bouli Lanners, présenté au Panorama; celui du meilleur film européen pour enfants aux Oiseaux de passage d’Olivier Ringer: le cinéma belge a joliment tiré son épingle du jeu lors de cette 66e Berlinale. Et l’on ne parle même pas des Benoît Poelvoorde, François Damiens ou autre Astrid Whettnall, appréciés à des titres divers sur les écrans berlinois, Martha Canga Antonio, la révélation de Black, comptant pour sa part parmi les « shooting stars » de cette édition.

CLOONEY SUPERSTAR. George Clooney débarquant à Berlin pour Hail, Caesar!, de Joel et Ethan Coen, il n’en fallait pas plus pour que la fièvre s’empare des environs de la Potsdamer Platz. Entre deux bons mots et une rencontre avec Angela Merkel, la star a évoqué son prochain film comme réalisateur, à savoir Suburbicon, adaptation d’un scénario écrit il y a 25 ans par… les Coen Brothers.

DOCUMENTAIRE. Le documentaire est traditionnellement à la fête à la Berlinale, le Panorama lui consacrant un volet de sa sélection. Il était par ailleurs bien représenté en compétition cette année, et si le passionnant Zero Days d’Alex Gibney est reparti bredouille, Fuocoammare de Gianfranco Rosi a marqué les esprits au point de remporter l’Ours d’or.

ÉCRITURE. Inspiré de l’oeuvre d’Antonio Lobo Antunes, le magnifique Cartas da Guerra, du Portugais Ivo M. Ferreira, aura donné une touche littéraire au festival, superposant, par la grâce d’une voix off, les lettres d’amour d’un médecin militaire à sa bien-aimée aux images en noir et blanc de l’engagement lusitanien en Angola. Un procédé repris, en mode poétique cette fois, par le Chinois Yang Chao dans Crosscurrent.

FANTASTIQUE. Dans la foulée de Dominik Moll adressant Des nouvelles de la planète Mars, le supra-naturel s’est invité en compétition: chez Denis Côté, sous les traits de Denis Lavant, deus ex machina de Boris sans Béatrice; et devant la caméra de Jeff Nichols, le réalisateur de Mud et Take Shelter déclinant son univers en mode fantastique, croisant le film de poursuite avec un condensé de Rencontres du troisième type et E.T. pour un résultat plus surprenant que franchement convaincant.

GUERRE. Where to Invade Next?interroge Michael Moore. Et la guerre est partout, en effet: coloniale dans Cartas da Guerra d’Ivo M. Ferreira, le grand oublié du palmarès; absurde dans Soy Nero de Rafi Pitts; lointaine mais bien présente dans Quand on a 17 ans d’André Téchiné; adaptée au cyberespace dans Zero Days, d’Alex Gibney, voire encore intime, comme chez Tomasz Wasilewski et ses United States of Love.

HEDI. Meilleur premier film et prix d’interprétation à Majd Mastoura, Hedi, du Tunisien Mohamed Ben Attia, restera comme la révélation de cette édition. Soit l’histoire d’un homme hésitant entre le poids des traditions et la promesse de la liberté, et un portrait tout en nuances de la société tunisienne d’aujourd’hui.

IVRESSE. Embarquant Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde sur la route des vins de France, Saint Amour, de Gustave Kervern et Benoît Delépine se devait d’être une célébration de l’ivresse. On n’a pas été déçu, pas plus d’ailleurs que par le Kollektivet, de Thomas Vinterberg, où la bière arrose généreusement les échanges d’une communauté telles qu’elles fleurissaient dans les années 70.

JE, TU, IL, ELLE. Véritable institution berlinoise, les Teddy Awards, attribués chaque année à un film célébrant l’homosexualité, fêtaient cette année leur 30e anniversaire. L’occasion de rendre hommage à divers cinéastes, dont Chantal Akerman, disparue il y a quelques mois, mais présente sur les écrans de la Berlinale avec deux films: Je, tu, il, elle et Toute une nuit.

KOSSLICK. A la tête de la Berlinale depuis 2001, Dieter Kosslick lui a imprimé une ligne éditoriale d’une lisibilité parfois relative. Si l’on a déjà connu line-up plus ronflant que celui de cette 66e édition, la sélection aura cette fois fait l’unanimité tant par sa qualité d’ensemble que par sa diversité, reflétées par un palmarès saluant aussi bien l’urgence documentaire de Gianfranco Rosi que les perspectives esthétiques ouvertes par A Lullaby to the Sorrowful Mystery, de Lav Diaz.

LODGER. De passage par Berlin, les Texans de Shearwater terminent leur set au Frannz Club sur Move On et Look Back in Anger, deux extraits de Lodger, l’album qui ponctuait, en 1979, la trilogie berlinoise de Bowie. Trouble garanti, et affaire à suivre: le groupe jouera l’intégralité de l’album le 15 mars prochain dans la boutique Rough Trade de Brooklyn, « just for one day »

MARATHON. De mémoire de festivalier, on n’avait pas le souvenir d’un film aussi long, objet d’une séance unique qui plus est. Avec ses 482 minutes, A Lullaby to the Sorrowful Mystery, du Philippin Lav Diaz, a sans doute établi un nouveau record, le cinéma y prenant la forme d’un envoûtement en noir et blanc.

NAKOM. Tourné par les réalisatrices Kelly Daniela Norris et Trav Pittman dans un village dépourvu d’électricité comme d’eau courante, Nakom est la première production ghanéenne jamais présentée dans un festival international, de même que le premier film tourné en langue kusasi.

OURS D’OR. Rarement un Ours d’or aura-t-il suscité une telle unanimité. On n’imaginait guère il est vrai, le prix échapper à Gianfranco Rosi et Fuocoammare, documentaire racontant le cauchemar de migrants dérivant vers Lampedusa parallèlement au quotidien d’un gamin de l’île.

PONCTUALITÉ. Où est donc passée la légendaire ponctualité de la Berlinale?

QUAND ON A 17 ANS. André Téchiné orchestre la rencontre de deux jeunes gens dans un décor pyrénéen. Et signe un film solaire et généreux, le pendant, quelque 20 ans plus tard, à ses Roseaux sauvages…

RÉFUGIÉS. Du cauchemar des migrants arrivant à Lampedusa au coeur de Fuocoammare, à l’exploitation économique de ceux débarqués en Suède dans Yarden, la question des réfugiés trouve des expressions diverses et appelle un commentaire définitif, celui de Gianfranco Rosi recevant l’Ours d’or: « J’espère que ce film va pouvoir contribuer à faire comprendre qu’il n’est pas normal que des gens meurent en venant chez nous. »

SCHAMUS. Producteur historique d’Ang Lee, Ours d’or il y a tout juste 20 ans avec Sense and Sensibility, repris lors d’une séance spéciale, James Schamus faisait ses premiers pas de réalisateur à l’occasion de cette Berlinale avec Indignation, une adaptation de Philip Roth…

TROMPETTE. Celle de Miles Davis, bien sûr, objet d’un biopic fort attendu, Miles Ahead, réalisé et interprété par Don Cheadle. Lequel s’en sort avec les honneurs, évitant les pièges de la bio-hagiographie pour signer un portrait multiple de l’homme et de sa musique.

U2. Non pas le groupe irlandais poussif, mais l’une des lignes du métro de Berlin, colonne vertébrale du festival puisque reliant la Potsdamer Platz (et les Berlinale Palast, CinemaXX et autre CinéStar) au Zoologischer Garten (et aux cinémas Delphi et Zoo Palast notamment) à l’ouest; à l’Alexanderplatz (et au Cubix et à l’International) à l’est.

VACHON. Productrice de l’ensemble des films de Todd Haynes, mais encore de Boys Don’t Cry ou autre Happiness, Christine Vachon faisait l’objet d’un Teddy spécial largement mérité. Dommage que Goat, sa dernière production en date, découverte au Panorama, n’ait pas vraiment été à la hauteur…

WEIWEI. Militant pour la cause des réfugiés, l’artiste chinois Ai Weiwei aura créé l’événement à la faveur d’une installation recouvrant les colonnes de la Konzerthaus de Berlin de 14 000 gilets de sauvetage de migrants ayant échoué à Lesbos après une traversée de tous les dangers. Fort.

X. « Pornografia! » s’est exclamé un spectateur à la fin de la projection de presse de Fuocoammare, reprochant, en un mauvais procès, son côté voyeur au film.

YANGTSÉ. Le Yangtsé offre son cours indolent et son cadre somptueux à Crosscurrent de Yang Chao, histoire de fantômes venue arracher le festivalier à la frénésie de l’instant.

ZOO PALAST. Coeur de la Berlinale jusqu’en 1999 avant d’être délaissé au profit des nouvelles installations de la Potsdamer Platz, le magnifique Zoo Palast a retrouvé de sa superbe, accueillant notamment les projections du Panorama dans un confort vintage difficilement résistible…

TEXTE Jean-François Pluijgers, À Berlin

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