LES STRIPS LES PLUS DRÔLES DE BELGIQUE DEVIENNENT DES DESSINS ANIMÉS PRÊTS À CONQUÉRIR LE MONDE! NIX VIENT EN EFFET D’ACHEVER LA RÉALISATION DE 500 (!) ÉPISODES DE KINKY & COSY. REPORTAGE AVANT DIFFUSION.

« Tais-toi le chien, on n’entend plus ce qu’ils disent à la télé! Attends Kinky, j’ai l’impression qu’il essaie de nous dire quelque chose… T’as compris quelque chose, toi? » Le chien, effectivement, vient d’aboyer qu’il veut des boulettes de viande, une promenade et un bon bain, mais contrairement à ces couillons de perroquets, personne ne le comprend…

Ce matin-là, dans les studios de Sonicville, à Molenbeek, on travaille très sérieusement à dire des choses apparemment idiotes, et drôles. Il s’agit en effet de boucler dans le timing prévu les dernières versions françaises du dessin animé Kinky & Cosy -dont la diffusion vient de commencer en France sur la chaîne câblée Orange, et du côté néerlandophone du pays, sur JIM. Soit 100 épisodes de cinq gags à chaque fois, chacun faisant entre 30 secondes et une minute. Soit pas moins de 500 dessins animés mettant en scène les jumelles les plus drôles et les plus trash de la BD contemporaine…

Guylaine Gibert, la voix de Kinky, et de Cosy, va pourtant devoir s’y reprendre à deux fois -le « toi » ne correspond pas au « lipping » de son personnage et un « oooooh » s’est avéré un peu plus long que ce que prévoyait la rythmo -cette bande de texte défilant sous les images pour synchroniser l’ensemble. Et puis il reste un « pourtant » à remplacer dans le texte -« Ça fait trop bizarre dans la bouche de Kinky, ça ne lui correspond pas« , réagit en direct Fred Felder, alias Franky Baloney, âme damnée des éditions Requins Marteaux et co-responsable des versions françaises de ce nouveau dessin animé. Un relecteur francophone qui travaille depuis des années avec ce néerlandophone de Nix, et qui, accessoirement, a aussi fait la voix du chien. Et du perroquet. « Je fais les chiens, les chats, les sans-abris, et même une carpe… Nécessité fait loi. J’ai une gamme limitée, mais j’ai ma gamme. » Cinq minutes plus tard, Guylaine, Fred et l’ingé-son présents dans le studio auront bouclé cet épisode. Plus qu’une poignée, et la boucle sera bouclée en français, comme déjà en néerlandais et en anglais. A la fois la fin et le début d’une grande aventure, entamée il y a près de six ans.

Esprit homemade

« L’animation, elle est venue un peu par hasard« , nous a expliqué notre collaborateur Nix quelques jours plus tard, alors qu’il faisait revenir, fidèle à sa réputation d’exigence, Frédéric Jannin pour réenregistrer quelques passages -Fred interprète l’agent Lex, déjà bien connu des lecteurs de Kinky & Cosy. « Elles étaient alors les mascottes du commissariat des droits de l’enfance, en Flandre, lequel m’avait commandé quatre petits spots de sept secondes. La VRT les a vus, et a beaucoup aimé: pendant trois saisons, nous avons alors fabriqué des animations de 30 secondes, qui venaient chaque semaine clôturer une émission de débat. Tout se faisait chez moi, à la maison, en tout petit comité: les voix dans la cave, l’animation dans le salon… Du pur homemade. J’en ai fait doubler quelques-uns en français, que je suis allé présenter au festival d’Annecy. C’est là que j’ai rencontré les équipes de production de EllipseAnim -qui en voulaient 500! Soit plus de 250 minutes, ou l’équivalent de deux longs métrages, où toutes les 30 secondes, on change de personnages, de décors… Je n’avais pas vraiment conscience de l’énormité de la chose. »

Fort d’un (très) petit budget d’un million d’euros, Nix entamera alors un long chemin de création et de production qui l’amènera d’Hollywood à la Chine, en passant par Angoulême et Charleroi (voir par ailleurs) pour se boucler, enfin, dans les studios bruxellois de Sonicville. De quoi mesurer les différences, parfois énormes, entre les métiers de la BD et de l’animation. « Déjà, il faut éviter les jeux de mots, qui sont de véritables horreurs en cas de traduction. Et puis il faut, pour de simples questions de production, formater un minimum les choses -si tu veux que tout le monde respecte les mêmes règles, il faut des règles: j’ai dû décider de ce à quoi allait ressembler la représentation de l’eau, ou un reflet dans une vitre, ou la couleur d’un maillot… J’ai dû analyser mon propre univers, ce qui est très bizarre; jusque-là, il suffisait que le gag me fasse rire, je me posais peu de questions. Or je me suis rendu compte que cet univers était plein de trous: par exemple, je ne connaissais pas les métiers exercés par les parents de Kinky et Cosy. Jusque-là, ils me servaient juste de crochets pour accrocher des gags! Pareil pour leur maison: on a été obligés de dessiner des plans, de repérer l’emplacement des portes… Il y a un peu moins de liberté dans la production, mais pas dans l’artistique ou la construction du gag. Enfin, en BD, tu ne maîtrises pas la vitesse de lecture, c’est le lecteur qui décide, contrairement à l’animation. Dans un strip, finir sur une image sans son, sans texte, ça peut parfois marcher très fort; en animation, pas du tout! Pour le reste, c’est pareil: il faut être exigeant dans le gag. »

Exigeant dans le gag

Exigeant… Le terme revient souvent autour de Nix, ancien cadre chez Belgacom et artiste farouchement indépendant qui sait parfaitement ce qu’il veut, et ne veut pas -« chaque détail compte« – et qui sera de fait intervenu à chaque étape de la fabrication, jusqu’à la musique. « Mais ce qu’on pense de moi, c’est vraiment ma dernière préoccupation, je m’en fous. Ce qui compte, c’est d’obtenir ce que tu désires, ce que tu as dans la tête. Et ce que je veux, ce sont les meilleurs gags possibles! Un de mes critères, c’est la surprise: mettre en place des éléments, une intrigue, mais toujours surprendre à la fin, ne pas laisser le gag se deviner. Fred Felder dit que c’est mon côté nordique, germanique: je ne veux jamais « expliquer » une blague. Je la mets presque au frigo, là où les Latins ont un peu plus tendance à préparer le terrain. Je crois que ça fait la force et l’identité de Kinky & Cosy. Ça, et bien sûr leur côté un peu trash, qui leur permet de tout se permettre. Quand nous sommes allés enregistrer des sons et des voix à Hollywood pour avoir une première version anglaise, indispensable pour penser à l’international, le choc des cultures et du politiquement correct a été énorme. « Oh, un sein! Tu montres un sein! Oh! Une blague sur les handicapés, mais tu ne peux pas! Ah, une blague raciste! »… Mais après trois semaines, tout le monde avait compris: les gags sont parfois trash, mais toujours de bon coeur: il n’y a jamais rien de méchant dans Kinky & Cosy. »

Reste désormais à ses deux jumelles à envahir le monde et les télévisions worldwide. Si la diffusion vient de commencer en Flandre et en France, et si une télé finlandaise vient d’acquérir les droits pour une version sous-titrée, elle se fait par contre encore attendre du côté des télévisions francophones belges. Fidèle à lui-même, Nix a juré de s’en occuper personnellement dans les semaines qui viennent. Les amateurs peuvent déjà avoir un aperçu du potentiel sur son site (www.nix.be), les autres seraient bien avisés de ne pas laisser passer ce produit local d’excellente facture. En cas de succès, Nix se verrait bien se lancer dans une deuxième saison et 500 nouveaux épisodes… D’ici là, la BD va reprendre ses droits: les strips qu’il dessine et écrit désormais directement en français, d’abord et chaque semaine dans votre Focus, feront l’objet d’un nouveau et gros album d’ici quelques mois aux éditions du Lombard, avant la grande foire d’Angoulême… où Kinky et Cosy feront l’objet d’une grande exposition, forcément drôle, et surtout pas comme les autres.

TEXTE Olivier Van Vaerenbergh

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