The Kills, version faces B: « Ces chansons ont souvent été écrites la nuit qui précédait leur enregistrement »

Les Alison Mosshart et Jamie Hince d'hier.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec Little Bastards, compilation de Faces B et de raretés, les Kills font un bond de 20 ans dans le temps et éclairent sous un nouveau jour leurs débuts suintant le rock’n’roll. Entretien.

Fuck the People. En 2003, les Kills débarquaient avec Keep On Your Mean Side. Un disque poisseux. Des chansons rêches pour les Bonnie and Clyde, les Mickey et Mallory du rock transatlantique. Dix-sept ans plus tard, Alison Mosshart fait partie d’un supergroupe (The Dead Weather) avec Jack White et a récemment publié un livre et un disque de spoken word. Les Kills n’ont sorti que cinq albums mais ils sont toujours vivants. Assagis tout au plus. Une compilation de faces B et de raretés rappelle à leur bon et sulfureux souvenir. Little Bastard, c’était le petit nom que l’Anglais et l’Américaine avaient filé à leur boîte à rythmes (jamais eu de batterie dans les Kills). Conversation Zoom en toute décontraction.

Comment est née l’idée de cette compilation?

Alison Mosshart: C’est notre label qui est venu avec cette proposition. Laurence Bell, qui tournait en rond pendant le confinement, écoutait de la musique et est tombé sur des B-Sides des Kills. Il nous a appelés en nous disant qu’on devrait en faire quelque chose. Il avait l’air déterminé. C’était vraiment cool. Puis ça semblait être le moment idéal pour bosser là-dessus puisqu’on ne pouvait pas quitter nos maisons.

Vous êtes où pour l’instant?

Jamie Hince: Je suis dans les collines de Los Angeles.

A. M.: Moi aussi. Sur une autre colline.

J. H.: On se voit et on se parle tout le temps. Quand Alison habite L.A., elle n’est qu’à cinq minutes en Range Rover.

Vous faites quoi de vos journées?

J. H.: J’ai un studio en bas. Je passe mon temps à y travailler sur de la musique. Et parfois, quand j’en ai ras-le-bol, j’arrête pour me consacrer à mes projets photographiques. J’ai un bureau photo à l’étage. J’imprime des choses, je développe des films.

A. M.: Tu regardes aussi beaucoup de Formule 1.

J. H.: Oui, je suis obsédé. J’adorerais qu’on me propose une interview pour ne parler que de Formule 1.

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A. M.: Pour moi, c’est plus ou moins le même programme. J’étudie un tas de trucs pour faire de petits films. L’édition, l’utilisation de softwares. Des choses que je n’aurais jamais eu le temps d’apprendre dans une vie normale. J’ai écrit de la musique. Je me promène beaucoup sur Internet et je passe un tas de coups de téléphone… Puis, j’ai accordé pas mal d’interviews. C’est vraiment une drôle de période parce que tu ne peux aller nulle part. C’est intéressant créativement parlant. Un projet que tu aurais d’habitude bouclé en une heure en te pointant quelque part, tu essaies de l’amener à un autre niveau et tu finis par y passer quatre jours. C’est intéressant. C’est comme si le temps s’allongeait ou se divisait. Je ne sais pas si ça rend les choses plus faciles ou compliquées.

J. H.: J’ai l’impression de faire constamment des choses. Et puis quand je vais me coucher, je n’arrive pas à dormir parce que je suis anxieux de ne pas en avoir fait assez.

Little Bastards a le côté cru, sale, sauvage que les Kills avaient dans le temps. Que représentent pour vous ces chansons?

A. M.: Elles racontent une histoire. L’histoire de notre carrière entre 2002 et 2009. J’aime ces chansons parce qu’elles sont brutes et nues. Elles n’ont pas été prévues pour un album. Elles ont été faites rapidement, écrites en un jour. Elles ont une énergie intéressante. Elles sont comme une photo de là où on était à l’époque. De ce qu’on pensait, de ce qui nous intéressait, de ce qui nous inspirait. Les écouter, c’est comme plonger dans un journal resté secret d’une certaine manière. Ce sont des intrigues secondaires pour des disques que certains connaissent bien.

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Quel souvenir gardez-vous de cette époque?

J. H.: La plupart de ces chansons ont été écrites à un moment où tu avais toute cette pluralité de formats. Vinyles, CD, 45 tours, CD single, téléchargement… Il fallait venir avec deux morceaux supplémentaires pour chaque chanson que tu sortais. Donc, si tu voulais en extraire cinq de ton album, il te fallait dix autres titres. C’est pas comme si on avait beaucoup de temps à y consacrer. On passait notre vie sur la route. Donc, ces chansons ont souvent été écrites la nuit qui précédait leur enregistrement. Parfois le jour même. À l’époque, je trouvais ça très frustrant. C’est quoi l’intérêt? C’est juste une connerie bureaucratique qui me force moi, un artiste, à faire de la musique à un moment où je ne le veux pas (il rigole). Aujourd’hui, je trouve ça assez spécial. C’est une expérience que je ne me serais jamais imaginé tenter. Il y a une urgence dans ces chansons. Sur des morceaux comme Magazine ou Jewel Thief, peu importe la production, le style d’enregistrement ou même quels instruments sont joués. Il y a quelque chose d’autre. Une vibe que j’avais oubliée depuis longtemps.

Cette époque est synonyme de retour des guitares et du rock dans la musique de masse…

J. H.: Je me souviens de quand j’ai entendu les Strokes pour la première fois. C’était à la radio. J’étais au volant. Ce n’était rien de nouveau bien sûr, mais c’était brillant… Ça sortait vraiment du lot. Parce qu’avant tout ça, c’était des conneries de singer-songwriter de stade surproduits. Je me souviens bien de 2001. Ce sentiment qu’on ne devrait pas rester totalement obscurs alors que je me sentais comme un bluesman maudit. En Angleterre, on a commencé quasi en même temps que les Libertines en fait. Ils trainaient parfois à Gipsy Hill, là où nous vivions. Pete cherchait un endroit où vivre. On avait écouté nos groupes respectifs. Et je me souviens avoir pensé: mon Dieu, les paroles sont nulles (il se marre). Je ne m’imaginais pas ce que ça allait devenir.

Forever Young.
Forever Young.

C’était des années excitantes pour vous?

J. H.: Oui. Je ne sais pas ce qu’Alison en pense, mais moi je n’avais pas l’impression d’appartenir à une scène ni même qu’il y en ait une. On a donné cinq concerts et puis on est partis en tournée. Lorsqu’on a signé chez Domino, six personnes y travaillaient. Quand on est revenus deux ans et demi plus tard, ils étaient 35 et ils avaient leurs propres bureaux. Je ne peux honnêtement pas prétendre que j’ai été le témoin d’une scène. C’était juste Alison et moi.

A. M.: On n’était pas beaucoup à Londres. On passait la plupart de notre temps aux États-Unis et on était toujours sur la route. C’était très excitant. Mais très excitant dans notre monde personnel. On faisait tout pour la première fois. On découvrait ces clubs. On était là, debout, ensemble, devant les gens. Chaque jour était nouveau. Voir un groupe, ce n’est pas regarder une vidéo ou lire un article qui agglutine des faits et prétend raconter son histoire. Ce n’est jamais la réalité. Jamais.

J. H.: On essaie souvent de donner du sens superficiellement aux choses. Si tu regardes les chansons de Little Bastards, c’est juste le chaos. Il n’y a pas de signification particulière derrière. Bien sûr, elles ont du sens. Mais il n’y avait pas de plan. C’est marrant avec le recul de voir que des gens les rattachent à une spontanéité crue. Elle n’a jamais été calculée ou pensée. Elle est juste arrivée.

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Les scènes rock actuelles sont-elles différentes en Angleterre et aux États-Unis?

J. H.: J’ai l’impression qu’aux États-Unis, elle est davantage éclipsée par la trap, le hip-hop et le r’n’b. C’est définitivement la norme culturelle ici. Certains ne seront pas d’accord, mais je ne vois pas de groupes rock aux États-Unis dans un mouvement similaire à ce qui se passe avec Sleaford Mods, Idles, Fontaines D.C…. Je ne sais pas si ça existe.

Il y a quelques années, tu as quand même eu Thee Oh Sees, Ty Segall.

J. H.: Bien sûr. Ty Segall est génial. On a eu la chance de partager une scène de festival avec lui. Mon Dieu, c’était incroyable à regarder. Mais bon, c’était il y a cinq ans. Pareil avec Thee Oh Sees. Brillant, mais ça fait déjà un bail. Je me trompe peut-être mais je ne vois pas de retour particulier des guitares aux États-Unis. Je suis très heureux que ce soit le cas au Royaume-Uni. Mais je ne peux pas dire que je le constate ici. J’ai vu Black Midi au Zebulon, à Los Angeles. C’était génial, mais on était 300. Et c’était un public assez âgé. Je cherchais le jeune FUCK underground. Je ne suis pas sûr qu’il se dresse avec la musique à guitare ici pour le moment.

Vous avez une explication?

J. H.: Pas vraiment. Mais en Angleterre, il est très facile d’exploser rapidement et de répandre l’onde de choc. C’est une île et c’est culturellement très concentré. Le rock’n’roll, historiquement, y est massif. Puis, c’est un petit pays. Donc, c’est facile d’avoir un impact, une caisse de résonance. Les États-Unis, c’est tellement grand. C’est une machine gigantesque qu’il faut mettre en branle. Après, quand tu y es arrivé, ça s’inscrit dans la durée. En Amérique, quand ton groupe devient quelque chose, j’ai le sentiment que tu es respecté jusqu’à la fin de tes jours. En Angleterre, tu as un an. Un an et puis on te dit de dégager ( il se marre).

Et donc, tu dois te casser à Los Angeles…

J. H.: Je ne fais pas mon John Lydon, genre Fuck l’Angleterre. J’aime l’Angleterre. Mais la moitié de mon groupe est américain. Je ne suis pas en mode grand gamin qui joue au con dans l’endroit le plus fun du monde. Ça a du sens. Et j’y bosse.

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J’ai lu que Lydon allait voter pour Trump… (cette interview s’est déroulée juste avant les élections américaines)

J. H.: C’est cette politique démodée du vieux punk. Ces mecs qui te disent (il prend une grosse voix éraillée): « Fuck you! C’est pas toi qui va me dire ce que je dois faire. Même si ça signifie que je fais un truc vraiment stupide comme me couper la main. » Ce « Je vais le faire si on ne me le permet pas » est si con. La provocation est dépassée. Surtout face à de tels enjeux. Je sais qu’il y a pas mal d’arrogance de cette Amérique. Elle se croit le centre du monde. Mais c’est un peu le cas. Beaucoup repose sur cette putain d’élection. Pas juste le sort des Américains. Politiquement mais même davantage émotionnellement et mentalement parlant, elle est, je pense, vitale pour le monde. On doit arrêter cette manière de penser. Ce n’est plus possible. Ça ne peut plus exister. J’ai l’impression que la planète nous implore: « S’il vous plaît, arrêtez tout ça. » L’Amérique est bizarre. J’aimerais croire que l’évidence va sauter aux yeux. Que c’était juste 20% de la population qui frappait, vociférait et gueulait. Mais ce n’était pas ça. C’est ça ma plus grosse crainte. Même si Trump ne gagne pas, près de la moitié du peuple le soutient et croit ces conneries. Ce qui est complètement dingue pour moi.

Avez-vous déjà des chansons pour un nouvel album des Kills?

A. M.: Oui. On en a quelques-unes. On doit encore décider quand et où les enregistrer. Comme la reprise des concerts, ça va dépendre de la pandémie.

J. H.: Il y a des choses positives qui sortent de tout ça. Je me sens presque libéré de ce cycle perpétuel. Écrire un disque, enregistrer un disque, défendre un disque, prendre un break de quelques semaines, et repartir pour un tour… Le confinement est une opportunité unique pour compiler une montagne de travail. J’essaie donc d’avoir autant de matériel prêt que possible. Pour le prochain Kills, on doit avoir une cinquantaine de chansons. Mais on a choisi de travailler ensemble sur sept de ces morceaux. La moitié de la bataille en gros.

Cette année, Alison, tu as aussi sorti un bouquin et un disque de spoken word…

A. M.: Tout est parti d’une expo à Los Angeles. J’ai découvert à travers mes dessins, mes peintures, mes photos, que j’étais obsédée par les voitures. J’ai donc monté cet ouvrage et j’ai décidé d’enregistrer un album de spoken word pour aller avec.

J. H.: Je l’ai (Il le sort, le montre, en tourne les pages).

Elle te l’a dédicacé?

J. H.: Même pas. Tu vois quand je te parlais de machine corporatiste. De gens qui ne mettent pas d’âme ou d’eux dans leur art et qui se sont laissés pervertir. Alison, tu as intérêt à glisser quelque chose dedans la prochaine fois que tu viens me voir.

The Kills – « Little Bastards »

Distribué par Domino/V2. ****

The Kills, version faces B:

Ça fait un bout de temps que les Kills ne s’étaient plus montrés aussi excitants que sur Little Bastards. Une compilation, certes, mais une compilation de raretés. Faces B accrocheuses et crades de 45 tours, reprises bien senties et autres pépites perdues… Ces 20 titres enregistrés entre 2002 et 2009 résument bien le vénéneux tandem anglo-américain. Rock’n’roll, cramé, sexy… Parfois poppy (Superpowerless), tantôt plus bluesy (Magazine). À côté des efficaces Passion Is Accurate et Half of Us, de la démo inédite Raise Me, se bousculent I Put a Spell on You de Screamin’ Jay Hawkins, le Forty Four d’Howlin’ Wolf, le Sugar Baby de Dock Boggs et La Chanson de Slogan de Serge Gainsbourg (I Call It Art). Licence to Kills…

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