Existe-t-il un esprit belge dans l’âme du jeu vidéo?

The Almost Gone
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Forte d’avoir présenté une quinzaine de jeux en chantier à la Gamescom de Cologne, la Belgique file enfin sur les rails du jeu vidéo cette année. Flotsam, Nanotale, The Almost Gone et Ary and the Secrets of Seasons s’y imposaient comme des wagons de tête. Explications depuis le plus grand salon du jeu vidéo au monde.

Croiser Le Blanc-Seing (1965) de Magritte au beau milieu d’une expo sur le jeu vidéo est insolite. Le prestigieux Victoria & Albert Museum de Londres empruntait pourtant l’oeuvre originale de l’icône du surréalisme belge à la National Gallery of Art de Washington l’an dernier. Objectif? Illustrer une des influences visuelles majeures des balades forestières souterraines et hantées de Kentucky Route Zero. Le tableau et le jeu qui trônaient au milieu des 1000 mètres carrés d’une sélection baptisée Design/Play/Disrupt relevaient de l’improbable anecdote. Exactement à l’image du paysage gaming belge, inexistant aux yeux du monde ces 30 dernières années. Mais le vent tourne.

À l’échelle globale, le jeu vidéo noir-jaune-rouge se résume à deux noms depuis la fin des années 80. Les Gantois de Larian Studios ont ainsi conquis le coeur des fans de jeux de rôle en chauffant à blanc leur série des Divinity, ces dix dernières années. Avant, en 1999, les Carolos d’Appeal Studios défrichaient l’idée d’ open world avec Outcast. « On était tous autodidactes dans les années 80 et 90 en Belgique. Personne n’avait fait d’école de dessin et celles de jeu vidéo n’existaient tout simplement pas », s’amuse Yves Grolet, légende du secteur belge qui codéveloppait ce monde ouvert(1) entre Stargate et Jurassic Park. « En classe d’informatique, Franck (leur directeur artistique, NDLR) dessinait des canettes de Coca en 3D pour s’entraîner. On en était là. »

En plein finissage, avant l’ouverture du dernier salon Gamescom de Cologne, Yves Grolet se souvient. Il observe aussi avec bienveillance la quinzaine de nouveaux jeux indé en développement présentés sur le stand belge. Le contraste est stupéfiant face à 2015. Car le lieu de rencontre monté par nos trois régions n’existait tout simplement pas. « Ça ne m’étonne pas, j’y ai toujours cru. Nous ne sommes pas plus bêtes que les autres pays. Des écoles comme Albert Jacquard à Namur et Howest à Courtrai alimentent désormais ce vivier », note Grolet.

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The Almost Famous

Création de cette Belgian Touch naissante, The Almost Gone se hissait parmi les projets les plus élégants et marquants du stand belge de la Gamescom. Dans ce jeu d’aventure dont la sortie est prévue l’an prochain, le joueur se glisse dans la peau d’une fillette dont le décès est lié à la famille. Le titre déballe une succession de pièces et de scènes, que l’on fait pivoter à 360 degrés. Mieux, ces dioramas entre The Gardens Between de The Voxel Agent et Vignettes de Klondike déroulent des souvenirs paternels liés à des objets épars à retrouver. Le récit noir devrait se hisser à la hauteur de l’esthétique du jeu puisqu’il a été confié à la plume de Joost Vandecasteele, écrivain, nouvelliste et homme de théâtre applaudi au nord du pays.

« Il y a quatre ans, la Flandre et les Pays-Bas étaient les invités d’honneur de la Foire du livre de Francfort. Cette dernière couplait des studios gaming et des écrivains sur des projets de jeu vidéo. The Almost Gone est né à cette occasion », note David Prinsmel, cofondateur d’Happy Volcano, le studio derrière le jeu. Profondément marqué par son auteur flamand, The Almost Gone cultive une bonne part de belgitude. Mais ce voyage en plein purgatoire développé par trois ex-pubards est loin d’être le seul titre à dégager des effluves noir-jaune-jeu.

Il y a cinq ans, Guns, Gore & Cannoli déterrait ainsi le cadavre de Metal Slug sur consoles et PC trouvant son inspiration graphique du côté de l’École de Marcinelle. Certes, à entendre l’ensemble des studios présents à Cologne, les avis divergent quant à l’existence d’une Belgian Touch comparable à la French touch des années 90 (Another World, Alone in the Dark…). Mais des liens évidents se tissent entre BD et jeu vidéo, sauce mayo. Au-delà des Syberia de Benoît Sokal, récemment, les bastons du Domiverse de Haunted Tie et les soins RPG de Healer’s Quest de Rablo Games en témoignent: le premier projet embauchait ainsi un coloriste freelance de Casterman (Kaamelott) et Soleil (Kookaburra) tandis que le one-man-studio du second travaillait sur des adaptations gaming des Schtroumpfs.

Flotsam
Flotsam

From Belgium with love

Attendu ce 26 septembre sur PC et présent à la Gamescom, Flotsam déploie également des visuels BD dont le charme coloré est inversement proportionnel à son propos post-apocalyptique. Ce city builder imaginant une Terre couverte d’océans -suite à la montée des eaux- s’impose comme une des sorties indispensables de cette rentrée. Au joueur d’améliorer progressivement un frêle esquif en récupérant des déchets à la dérive.

« Notre approche BD, partiellement belge, est volontaire. On avait des dossiers remplis de bandes dessinées franco-belges et de films d’animation comme Les Triplettes de Belleville. C’était un processus conscient. Stan, notre animateur, a toujours été influencé par des films d’animation belges », souligne Juda-Ben Gordier, concept artist de Flotsam et cofondateur du studio gantois Pajama Llama. « Les jeux qui ont été lancés il y a quatre-cinq ans commencent à sortir aujourd’hui. Il y a beaucoup de talents créatifs en Belgique mais pas encore de scène gaming belge à proprement parler. Pas comme dans les pays scandinaves par exemple. »

Sortis l’an dernier, Healer’s Quest (Rablo Games), Shift Quantum (Fishing Cactus), Bombslinger (Mode4) et Domiverse (Haunted Tie) tiraient des bilans commerciaux mitigés sur Steam. Leurs ventes qui se sont élevées de 400 à 5.000 copies par titre (dans le meilleur des cas) ne découragent toutefois pas les efforts indé belges cette année. Face à Flotsam, les vétérans montois de Fishing Cactus reviendront ainsi cette rentrée avec Nanotale-Typing Chronicles, un typing game demandant de taper des séries de mots au clavier pour lancer et parfois combiner des sortilèges. L’univers fantasy plus lissé et mature que leur précédent Epistory se double enfin d’un gameplay affiné jouant notamment sur le terrain et l’infiltration.

Nanotale-Typing Chronicles
Nanotale-Typing Chronicles

« Il existe bel et bien un esprit belge dans l’âme du jeu vidéo même. Pas forcément dans la direction artistique ou la manière de travailler mais plutôt dans le ton, qui verse souvent dans l’autodérision. Flotsam de Pajama Llama caste une mouette baptisée Steven Seagull, c’est très belge », sourit Amandine Flahaut, artiste 2D française exilée depuis dix ans en Belgique et responsable des concept art de Nanotale chez Fishing Cactus. « C’est quelque chose qu’on ne retrouve pas sur Epistory et Nanotale car on voulait une approche très poétique et onirique, mais on s’est vraiment retenus. Algo-Bot, un de nos précédents titres, était par contre très sarcastique. En Belgique, on n’hésite pas à mettre un peu de nous-mêmes dans nos jeux. »

Ceci n’est pas un jeu vidéo

La vitalité créative du gaming belge ne développe certes pas un langage culturel aussi unifié que la new beat. Chouchou de Stadia (l’imminent service de cloud gaming de Google), Larian Studios squatte en outre trois quarts du business sous nos tropiques. Le studio prépare actuellement Baldur’s Gate 3 -nouvel opus d’un monument du jeu vidéo sur PC- et résume aujourd’hui la Belgique à l’étranger. Un peu comme si les 2 Many DJ’s étaient les seuls à porter nos couleurs musicales en dehors de nos frontières. Mais le reste du peloton se bat et veut y croire.

Baldur's Gate 3
Baldur’s Gate 3

Hubris de Cyborn entend ainsi suivre les pas de Mass Effect dans un ambitieux périple SF narratif en VR tandis que Roguebook d’Abrakam (des créateurs de Faeria) mélange combats au tour par tour et jeu de cartes. Mieux: en Flandre, le premier éditeur de l’Histoire belge vient d’allumer son enseigne. Basé à Anvers, Cronos Interactive épaule trois jeux en cours de développement. Au-delà du voyage VR mythologique grec de Journey for Elysium et des combats de drones en arène d’Hoverloop, Trifox file comme un des protégés les plus prometteurs du nouveau label. Ce jeu d’action-aventure cartoonesque en 3D se compose de phases de plateformes inspirées par Crash Bandicoot.

« Notre force en tant que pays tient dans notre originalité face à des blockbusters qui jouent la sécurité. On peut vraiment se distinguer en termes de gameplay et d’art car les joueurs sont fatigués de voir toujours les mêmes sagas », conclut Dave Van de Maele, responsable des publications Cronos. « Il y a le même potentiel de fierté dans le jeu vidéo belge que dans le sport belge, en tennis ou en foot. Mais je pense qu’on est trop humbles. » Petit pays, grandes ambitions? On n’a pas fini de rêver au pays du surréalisme…

(1) Soit deux ans avant le passage à la 3D de Grand Theft Auto pour son troisième volet.

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Ary à tout prix

Digne héritier des action RPG à la Zelda, Ary and the Secrets of Seasons s’impose sans effort comme un des projets gaming des plus intéressants de ce deuxième trimestre 2020. Le jeu des Bruxellois d’eXiin met en scène une héroïne jonglant en temps réel avec la météo. Créant des sphères de tailles diverses, le gamer glace, par exemple, son environnement pour transformer un adversaire en cube à déplacer. Ce tour de passe-passe qui fait également apparaître des escaliers géants s’utilise autant sur des petites énigmes bien ficelées que face à des boss de fin de niveau. Traversant des univers médiévaux chinois et autrichiens (!), Ary and the Secrets of Seasons a convaincu Maximum Games, éditeur californien qui l’a embarqué dans la première cuvée de Modus, son nouveau catalogue indé.

Infos: ary-game.com

Quatre jeux belges improbables

Unreal

Ordilogic – 1991

Créé dans les jeunes années d’Yves Grolet et Franck Sauer, Unreal préfigurait l’originalité du monde ouvert de leur cultissime Outcast. Le titre sorti sur Amiga oscillait en effet entre beat them all, platformer et shooter arcade via des séquences en pseudo 3D tapissées de sprites zoomant à la manière de Space Harrier et Galaxy Force.

Unreal
Unreal

Agony

Art & Magic – 1992

Shoot’em up à scrolling horizontal où un apprenti magicien se transformait en hibou, Agony s’imposait comme une claque graphique 2D. Piranhas, fourmis et autres moustiques bizarres y défilaient au fil de somptueux décors via une animation parallaxe à trois niveaux. Un titre phare pour Yann Robert, Yves Grolet et Franck Sauer.

Agony
Agony

Ultimate Tennis

Art & Magic – 1993

Le jeu vidéo belge touchait au monde florissant des bornes d’arcade avec Ultimate Tennis. Suite à la mort de l’Amiga, Art & Magic se tournait vers la société liégeoise Deltatec pour dessiner sa propre carte d’arcade. Le titre s’est très bien vendu et a même été distribué par Banpresto dans les salles d’arcade… japonaises!

Ultimate Tennis
Ultimate Tennis

FIA European Truck Racing Championship

Neopica – 2019

Sorti de nulle part, FIA European Truck Racing Championship balance, tout en finesse, des cinq tonnes sur des circuits de F1. Gare aux habituelles distances de freinage automobiles et aux angles de braquage forcément très différents: le jeu demande de larguer au bon moment de l’eau sur les pneus surchauffés de ses camions.

FIA European Truck Racing Championship
FIA European Truck Racing Championship

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