« Comme Eggman, j’ouvre des portes, ça fait partie du jeu », le portrait de José Parrondo

José Parrondo, Prix Atomium-Fédération Wallonie-Bruxelles en bande dessinée © DR
Olivier Van Vaerenbergh
Olivier Van Vaerenbergh Journaliste livres & BD

L’auteur liégeois et pilier de L’Association a trouvé avec Eggman le personnage qui résume parfaitement l’univers graphique et narratif qu’il explore depuis plus de 20 ans entre minimalisme, absurde, ludisme et poésie. L’homme-oeuf, c’est lui, évidemment.

Les premières cases d’Eggman sont apparues sur les réseaux, il y a un an à peu près -et l’engouement a suivi presque aussi vite, tant cette séquence quotidienne vous emportait très vite très loin du vôtre, de quotidien. Quatre cases, au format presque carré, en noir et blanc, sans paroles, et presque sans personnages, si ce n’est cet oeuf juste muni d’yeux et de jambes, parfois d’un bras, et de rares accessoires: un mur, une fenêtre, une échelle, une longue-vue, des cases, des bulles, quelques codes propres à la bande dessinée, « et à peu de choses près, tout ce qui me vient et qui peut m’être utile ». « J’ai vu qu’il y avait des réactions, que les gens avaient l’air d’aimer ça, confie José Parrondo. C’est con, mais c’est encourageant. Alors j’ai continué, en tentant d’en réaliser un par jour -j’adore me mettre des contraintes. Et puis au bout du 333e jour, je suis allé montrer mes planches à L’Association, et on a fait un livre. Mon plus gros livre à ce jour. Si j’avais dû planifier ça, penser à un livre de 300 pages avant de le faire, je ne l’aurais jamais fait! C’est en tout cas la première fois que je travaille autant autour d’un même personnage. D’habitude, j’en change à chaque livre. Mais c’est très agréable de tenir ainsi un personnage, de l’épuiser jusqu’au bout, d’aller le plus loin possible. C’est très confortable aussi: il y a des questions qu’on ne se pose plus; ça permet de s’en poser d’autres. »

De la photo au dessin

Ce n’est pas la première fois que José Parrondo, 55 ans, s’invente un homme-oeuf pour personnage et, sans doute, un alter ego. Bolas Bug, petit personnage de ses premiers livres, jeunesse ou pas, sortis il y a plus de 20 ans au Rouergue et déjà à l’Association, en était déjà un. « Sauf que Bolas Bug avait un nez, une bouche et une cravate. Ici, Eggman n’est habillé que de sa coquille, et n’a pas de bouche, il n’en a pas besoin. » Comme si José avait encore voulu creuser le minimalisme qui caractérise ses créations. Un minimalisme né là aussi comme une contrainte, une de plus -« je passe mon temps à le dire à mes étudiants de Saint-Luc Liège (où il enseigne l’illustration depuis 15 ans, NDLR), qui ne comprennent pas toujours l’importance de la contrainte et ce qu’elle peut avoir de positif« .

C’est que José ne se destinait ni au dessin ni à la bande dessinée, qu’il n’aimait d’ailleurs pas plus que ça à l’adolescence. José se destinait à la photographie, et même à la photographie technique et industrielle, comme la pratiquait son père, et comme il l’a apprise à l’Institut Communal des Arts Décoratifs et Industriels (ICADI). « Sauf que j’étais nul en technique. Ils m’ont même donné mon diplôme parce qu’ils trouvaient que j’avais une approche artistique, ce qui est un comble! Il y a un photographe que j’aimais particulièrement, qui m’a beaucoup influencé, c’est l’Américain Duane Michals. Il fonctionnait en séquences et racontait en photos. » Mais jusque-là, pas de BD. « C’est seulement quand j’ai commencé à côtoyer Phil, Fifi, Tartempion, tous les acteurs du fanzine liégeois, que le dessin m’a pris. Je connaissais les scènes alternatives dans le rock (José joue de la basse, a participé à de nombreux groupes et a même sorti un album homonyme sur le label Soundstation, NDLR) et les cassettes pirates, mais pas les fanzines! Je suis passé par des gravures dessinées avec toute cette bande-là, puis j’ai fait des dessins très naturellement. » Un naturel et une richesse intérieure qui ont remplacé la technique pure, et qui sert encore de contrainte créative à José aujourd’hui: « Si j’arrivais à dessiner tout ce que je veux facilement, ça m’ouvrirait d’autres portes, mais en même temps, ça n’ouvrirait pas les portes que je suis obligé d’ouvrir maintenant, comme Eggman. Comme lui, j’ouvre des portes, ça fait partie du jeu. »

Un jeu que l’auteur ne semble pas prêt à abandonner tout de suite, même si son livre existe et qu’il se place dans la droite lignée narrative et esthétique de ses dernières créations à L’Association (La Main à cinq doigts et le très mal nommé Rien): « Je n’ai pas encore tout à fait boucler la boucle, je n’ai pas trop envie d’en sortir, c’est un cocon rassurant, Eggman. Si j’en sors, je vais devoir penser à un autre personnage… qui reviendra probablement dans le même univers. » José continue donc de créer, chaque jour, sur la petite table qu’il a installée près de sa cuisine, face à la fenêtre, pour lui rappeler les cafés où il a l’habitude d’écrire, de dessiner et de chercher des idées. Des « gags » d’Eggman qu’il continue de distiller sur sa page Facebook. Et quand il n’en invente pas, ils les remontent, les met en couleurs (comme il le fait pour Focus Vif chaque semaine) ou en peint quelques-uns: avec de l’huile à l’eau comme il a tenu à en placer dans le livre, ou à l’aide d’encres colorisées comme on peut en voir sur sa page et qui deviendront peut-être un jour un autre livre à L’Asso. « Mais toujours dans l’invention, l’imaginaire, l’onirique. Pas la magie! J’use de l’absurde, mais toujours avec une grand logique et le respect des contraintes physiques: Eggman, ce n’est pas du surréalisme! Et quant à savoir si c’est de la poésie… ce n’est pas à moi de le dire. » On le dira donc pour lui.

I Am the Eggman, de José Parrondo, éditions L’Association, 304 pages. ****(*)

© José Parrondo
© José Parrondo
© José Parrondo
© José Parrondo

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