ÉLEVÉ AU CINÉMA BIS COMME D’AUTRES AU BANANIA, LE RÉALISATEUR À L’IRONIE MORDANTE DE PIRANHA, INNERSPACE ET AUTRES GREMLINS REVIENT AVEC UN NOUVEAU FILM, BURYING THE EX, QUI SORT DIRECTEMENT EN DVD.

« Fantastic ideas for a fantastic world. » En un slogan supposément vendeur, Randall Peltzer, le paternel bricoleur sur le point d’offrir un mogwaï à son fils pour Noël dans le premier Gremlins (1984), aura sans doute mieux que quiconque résumé le cinéma de Joe Dante. Début avril, le réalisateur de Jersey, 68 ans au compteur, était à Bruxelles où son nouveau film, Burying the Ex, faisait l’ouverture du BIFFF. Aussi sympathique qu’inoffensive, cette comédie gentiment horrifique qui sort dans la foulée directement en DVD était surtout le prétexte parfait pour replonger dans la filmographie foisonnante d’un cinéaste essentiel, trublion caustique, généreux et inventif aux obsessions de série B à ce point récurrentes qu’elles confinent à la plus belle espèce d’auteurisme.

A bien y regarder, en effet, on retrouve dans Burying the Ex, l’histoire d’un fan hardcore de vieux films de monstres dont l’ex-girlfriend tyrannique revient d’entre les morts pour lui pourrir l’existence, un éventail impressionnant des thématiques chères à Dante. A commencer par cette solide fascination pour la transformation des corps, qui traverse toute son oeuvre: corps mutilés dans Piranha (1978), corps rendus à leur animalité dans The Howling (1981), corps multipliés dans Gremlins et Gremlins 2 (1984 et 1990), corps miniaturisés dans Innerspace (L’Aventure intérieure, 1987), corps mutants dans Matinee (1993), corps en plastique humanisés dans Small Soldiers (1998)… « C’est sans doute parce que je me transforme moi-même. Hier j’étais un jeune adolescent et aujourd’hui je suis un vieil homme (sourire). Vous savez, les histoires viennent à vous d’une manière ou d’une autre, et vous choisissez de faire tel ou tel film en fonction de ce que vous croyez sincèrement pouvoir leur apporter en tant que cinéaste. Ce n’est que plus tard, en regardant en arrière, que vous percevez les correspondances. Il n’y a pas de tentative consciente de construire une oeuvre cohérente, et pourtant, un beau jour, certaines lignes de force ne manquent pas de se dégager de tout ce que vous avez tourné. »

Hollywood stories

Joe Dante a le génie modeste, lui qui s’est toujours défini comme un réalisateur de deuxième division que le succès, inopiné, rencontré au mitan des années 80 a propulsé pour un temps, et presque par accident, dans la cour des grands. Il faut dire qu’à l’école de la débrouille, qui fut longtemps la sienne, Joe Dante a fait ses classes chez Roger Corman. Au sein de la fameuse New World Pictures du pape du cinéma fauché où il débute comme monteur, puis metteur en scène, durant les années 70. « Les seventies ont été une formidable décennie. D’un point de vue créatif, tout était possible. Il n’y avait aucune limite, surtout dans le cinéma d’exploitation. Nous jouissions d’une liberté inimaginable aujourd’hui, où des tas d’idées d’alors seraient frappées du sceau infamant du mauvais goût. »

Grand cinéphile devant l’éternel, le jeune Dante farcit déjà à l’époque chacune de ses oeuvres d’extraits et de références à de vieilles productions de genre. Ce sera vrai tout au long de sa carrière: pour cet insatiable dévoreur d’images, chaque film se doit d’être une véritable orgie cinématographique. « Dès les années 60, je projetais sur les campus américains ce que j’appelais The Movie Orgy. Soit un ensemble de sept heures entièrement constitué de morceaux de films réalisés par d’autres. C’était une espèce de synthèse définitive des milliers de films que j’avais dans la tête. Cette somme originelle a eu une influence énorme sur ce que j’ai fait par la suite. » Véritable Docteur Frankenstein du 7e art, Dante n’aura de cesse, en effet, de donner vie à des créatures filmiques certes follement ingénieuses mais cannibalisant des pans entiers d’oeuvres à demi-inhumées dans la vaste nécropole de la cinéphilie bis.

Si Corman s’impose comme la figure tutélaire de ses débuts, Steven Spielberg, que Dante prend pourtant un malin plaisir à railler (Piranha n’est au fond rien d’autre qu’une relecture désargentée et parodique de Jaws, quand les affreux, sales et méchants Gremlins s’affairent au dynamitage en règle de la fable sur l’altérité qui noyaute E.T. ), prend le relais dans les années 80 et 90, produisant plusieurs de ses films appelés à devenir cultes: Gremlins, Innerspace, Gremlins 2 et Small Soldiers. Contrairement à Spielberg, Joe Dante ne sera pourtant jamais un artiste naturellement populaire. Mieux: au gré des hauts et des bas de sa carrière, il en devient le double anticonventionnel par excellence. « Avec Jaws et Star Wars, j’ai assisté à la naissance des premiers blockbusters modernes au milieu des années 70. Roger Corman considérait que ces films n’étaient que des succédanés de ses productions New World, mais avec plus d’argent (sourire). Je me souviens aussi d’une critique de Jaws dans le New York Times qui disait qu’il ne s’agissait que d’une version à gros budget de Creature from the Black Lagoon, rien de plus. Quand Star Wars est sorti, il était évident qu’il s’inspirait largement des Flash Gordon et autre Buck Rogers des années 30. Ou que le premier Indiana Jones dérivait de serials oubliés des années 40. » Soit toutes des références avec lesquelles Dante a grandi, parmi d’autres. « Les films que vous voyez quand vous êtes jeune marquent votre esprit de manière indélébile. Les adultes n’en ont jamais rien eu à faire de mon travail, mais pas les jeunes. C’est la raison pour laquelle je continue à avoir ponctuellement l’opportunité de tourner, j’en suis convaincu. Mes films leur ont donné les clés nécessaires afin d’appréhender la culture populaire dans laquelle ils baignent aujourd’hui. » C’est l’histoire de Hollywood, rien moins, que racontent les films de Joe Dante, ce grand enfant pas sage, comme ses images…

BURYING THE EX. DE JOE DANTE. AVEC ANTON YELCHIN, ASHLEY GREENE, ALEXANDRA DADDARIO. 1 H 28. DIST: REMAIN IN LIGHT.

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