CINQUIÈME ÉDITION DU PLUS PUNK DES FESTIVALS D’ART GAMING EUROPÉENS, L’A MAZE. FESTIVAL CRACHAIT SON VENIN À BERLIN, LE MOIS DERNIER, ENTRE CRISE DES RÉFUGIÉS, CATASTROPHE NUCLÉAIRE JAPONAISE ET ASSASSINAT PAR DRONES INTERPOSÉS. OUF, LE JOYSTICK SE MÊLE (ENFIN) DE CE QUI NE LE REGARDE PAS.

A un jet de pixel du Berghain dans le Friedrichshain, le pont de la Warschauer Strasse s’étire comme une longue Cour des miracles de la contre-culture berlinoise. Coucher de soleil. Les murs saturés de graffitis recueillent les confessions de hipsters paumés. Palabres entre des grappes de dealers aux airs de Black Panther. Des guitaristes en sandales charrient des clodos sur fond de carte postale. L’emblématique tour émettrice de la capitale pointe sur la ligne d’horizon crépusculaire. En bas de la passerelle, l’A Maze. festival. Ce rendez-vous annuel de gaming bâtard crépite au fil d’une sélection de jeux indé tragiques ou comiques. Sexuels ou politiques. Festifs. Toujours hypercréatifs. L’événement fourre-tout est à l’image de son quartier et du Kreuzberg voisin: punk à souhait.

Bien malin qui pourra tracer les contours polymorphes de l’A Maze. Ce freak show pour gamers alternatifs débordait en effet joyeusement cette année de sa compétition principale (20 productions indie nominées dans cinq catégories). Pour son cinquième jet, la pieuvre malicieuse doublait de volume en inaugurant un espace supplémentaire dédié à des gameplays aquatiques autour d’une piscine. Rien ne liait donc a priori ces projets se tortillant également entre réalité virtuelle, workshops ludico-théâtraux et game jam. En bon magicien roi du Do It Yourself, Thorsten S. Wiedeman, improvisateur en chef de cette bamboule de la manette déroulait toutefois un fil rouge. Chaque sélection de ce dandy longiligne hissait ainsi l’art (souvent hermétique) du gaming dans une zone d’inconfort. A la rencontre d’autres médias et de thèmes négligés par les blockbusters.

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Connu pour avoir adapté le Doom de 1993 dans un vrai piano droit (jouable!), Sos (Miko³aj Kamiñski dans le civil) cristallisait ce mantra. Le développeur polonais qui a popularisé les aventures de McPixel grâce à Pirate Bay débarquait ainsi à l’A Maze.sans jeu. Mais bien au volant d’un Zuk fatigué par 22 ans de communisme. L’ex-camion de pompier que la Pologne exportait jusqu’en Egypte sous l’ère soviétique avait ainsi été transformé en Fire Truck Open Sound System.

« Aucun rapport avec le jeu vidéo, juste l’envie de revoir des amis et d’ouvrir mon camion aux gens qui veulent mixer tout en jouant des instruments faits maison », précise le créateur qui bosse actuellement sur Mosh Pit Simulator, hilarant simulateur de pogos en réalité virtuelle (5000 Retweets et 4 millions de vues depuis avril). « Mon camion n’a que trois vitesses et roule à maximum 50 km/h, cela m’a pris six heures pour parcourir 160 kilomètres. En Pologne, je me suis arrêté pour prendre un auto-stoppeur, mais il ne voulait pas monter. Je ne peux pas le blâmer. »

Les basses de l’ex-camion de pompier tremblaient comme une minirave permanente à l’A Maze.Mais malgré une foule de concerts versant souvent dans le chiptune (plus cheap que tune), le coeur de l’Urban Spree Gallery -l’épicentre de l’événement- ne battait pas que sur des rythmes hédonistes. En savant chimiste, l’A Maze. de Thorsten multipliait en effet les nominés politiquement engagés cette année. North avance ainsi comme un First Person Shooter glissant le gamer dans le quotidien inquiétant d’un immigré fraîchement débarqué au milieu d’aliens. Baignant dans une architecture brutaliste, le projet franco-allemand d’Outland a suivi un singulier parcours puisqu’il est passé de la caméra au joystick.

« On travaillait sur un documentaire épluchant les politiques migratoires en Europe. Après avoir rencontré des lobbyistes et des parlementaires européens, notre projet a pris l’eau, faute de financements. On a décidé de poursuivre l’aventure sous la forme d’un jeu »,note Gabriel Helfenstein, l’une des trois têtes de ce jeu indé qui a notamment reçu les honneurs de Rock Paper Shotgun et Motherboard (Vice). « J’ai donné des cours d’allemand à des réfugiés pendant deux ans dans un centre d’accueil pour Syriens et Afghans. Au bout du voyage souvent long et horrible, il y a l’ennui, la frustration et la confusion administrative. North veut montrer ce côté kafkaïen, mettre aussi en lumière que pour s’intégrer, il faut accepter de se faire exploiter. Nos pays occidentaux rejettent les migrants mais les utilisent aussi via des boulots au noir. »

Engagez-vous!

Obligeant également à se convertir à une religion où la surveillance étatique est érigée en foi, North n’était pas le seul projet socialement conscient à l’A Maze. Joseph DeLappe y posait ainsi son implacable Killbox. L’artiste contemporain qui publiait des noms de vrais soldats morts sur une partie en ligne d’America’s Army (jeu gratuit de propagande US) proposait à deux joueurs assis face à face d’incarner un pilote de drones et sa victime potentielle. Le titre écossais codéveloppé avec trois autres codeurs explore froidement la connexion qui peut s’établir entre ce duo, malgré les câbles, les ondes et la distance.

« Une personne sur dix n’appuie pas sur le bouton », soupire Malath Abbas, un des game designer écossais du jeu qui a grandi en Irak. Uniquement lié à des infos publiques portant sur des bombardements au Pakistan, en Somalie et au Yémen le jeu ne se réfère toutefois pas à son pays d’origine, zone de guerre encore trop chaude. Ou presque. « Dès que nous avons fini le projet, j’ai commencé à repenser à mon enfance à Bagdad. Des souvenirs précis ont refait surface. Moi jouant dans des champs avec mes amis, entendant des sirènes puis une explosion. Le sentiment de passer subitement de l’amusement à une peur intense. »

Comme Killbox, Daiichi Dash ne veut pas donner de leçons de morale. Mais les conclusions qu’on pourra en tirer heurtent plus qu’une explosion de Call of Duty. Entre Metroid, Contra et Castelvania, le jeu de tir berlinois explore ainsi les affres de la catastrophe de Fukushima via un shooter old school à la réalisation 2D savoureuse. Le titre à la difficulté (trop) hardcore glisse les gamer dans les baskets d’Aiko, fillette de douze ans qui a muté avec une borne d’arcade. Vengeance familiale, corruption politique, dissimulation de Tepco, catastrophe environnementale…

« Nous voulons montrer tous les côtés d’un problème beaucoup plus complexe qu’il n’en a l’air, ne surtout pas pointer de coupable et confronter le joueur à des choix sur les responsabilités en jeu », insiste Marius Morthard, un de ses trois créateurs, né au Japon. Grand bien lui fasse vu que le Japon esquive le sujet. Plongeant lui aussi dans des documents inavouables de services de renseignements danois, Cosmic Top Secret (un des vainqueurs du festival) boucle habilement cette petite tournée politique de l’A Maze.

Last Splash

Physiquement et intellectuellement à l’opposé de ces productions engagées toutes exposées dans d’anciens ateliers de chemins de fer allemands, Splash Splash Splash s’étirait lui les doigts de pied en éventail, autour d’une piscine, à part. Pitch? Des groupes d’élèves issus d’écoles d’art, de théâtre et de jeu vidéo disposaient de cinq jours pour exploiter cet espace et y monter un spectacle ou une performance digérant des idées de gameplay. Une actrice hystérique qui étouffe un artiste codeur introverti: les regards étaient parfois embarrassés dans ces équipes que tout oppose. Mais ce croisement bâtard avait le vent en poupe.

Parmi les projets les plus intéressants, Tomorrow Never Dives demandait à deux joueurs de jeter simultanément des téléphones à l’eau. Le tout pour des plongeons synchronisés où la similarité de la figure acrobatique commune rapportait des points, affichés sur un PC connecté aux smartphones. La rencontre du gaming et d’autres disciplines artistiques ne voguait pas forcément sur des flots comme en témoigne The Brain 2: Robo Lab. Ce robot lui aussi monté en quelques jours demandait au visiteur d’imiter les poses exactes qu’un de ses bras adoptait aléatoirement. Un jeu d’imitation homme-machine aux commandes cryptiques mais au message transhumaniste frappant.

Deux fois plus grand que l’an dernier, l’A Maze. intéressait Kickstarer et Amazon qui y sponsorisaient des espaces pour notamment laisser une chance à Death Trash, jeu de rôle postapocalyptique aux relents de heavy metal. 800 tickets vendus contre 600 l’année dernière. 1200 visiteurs par jour. Et au final cette impression que tout reste à faire avec l’idée de gameplay. Le jeu vidéo n’a pas encore été exploré à fond et peu de titres « conscients » déroulent de vrais ressorts ludiques. S’il mélange avec talent des personnalités issues de divers horizons (théâtre, jeu vidéo, artiste numérique…), Thorsten S. Wiedeman regrette aussi que « l’idée de recherches préliminaires et de documentation soit si peu présente dans le jeu vidéo indépendant. Elle reste trop cantonnée aux artistes digitaux et au cinéma.Le médium purement gaming pourrait vraiment grandir s’il procédait de la sorte. » Comme le dit l’adage, Press Start to Continue.

TEXTE Michi-Hiro Tamaï

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