RENCONTRE DES BRUXELLOIS CASIMIR LIBERSKI ET FREDERIC LYENN JACQUES, MUSICIENS AUX AUDACIEUSES TENTACULES SONORES. INCLASSABLES MAIS PORTEUSES D’ADN JAZZ: NE PARTEZ PAS, C’EST PEUT-ÊTRE EXCITANT.

Papiers?

Jeunes? On présume, bien que FLJ, Fred en abrégé, décline l’information: « Quelle importance de savoir mon âge? C’est déjà une manière de classifier les gens. » Donnons donc 28,7 voire 31,4 années à ce Bruxellois bilingue de mère écossaise à l’air ado échappé d’une fresque de Gus Van Sant. Il joue de la basse en tournée avec Mark Lanegan, fréquente Marc Ribot en carrière solo et performe au sein du trio Dans Dans qui vient de sortir son deuxième album. D’une reprise d’Ennio Morricone aux acrobaties pop jazzyfiées, voilà des sillons créatifs (I/II chez N.E.W.S. ***). Ceux du pianiste Casimir Liberski, né en 1988, sont autoproduits/distribués et disponibles sur iTunes: enregistré en une seule journée du printemps 2012, son troisième album, The Caveless Wolf (***,est à la fois cérébral, new-yorkais et capable de foudroyantes accélérations émotionnelles (1). Dans la « vraie vie », Casimir est le fiston du Snuls et cinéaste Stefan (Liberski)(et aussi d’Anne-Catherine Kenis), revenant tout juste d’un long séjour en Amérikke via un stop au Japon: il compose actuellement la B.O. du deuxième film de daddy, Tokyo Fiancée, dont le tournage fut récemment auto-chroniqué dans ce magazine.

Formation?

Fred: « J’ai fait le Conservatoire Royal de Bruxelles, côté flamand, en contrebasse et jazz, j’ai été remercié en 4e année (sourire). J’avais un peu de mal avec le cadre rigide, balisé, ayant très peu de rapport émotif à la musique. Au Conservatoire, finalement, il faut apprendre à se différencier. »

Casimir: « Après des études secondaires en anglais à l’International School Of Brussels, je suis allé à Berklee (Boston) où se donnent des cours de jazz de haut niveau comme des cours de… platine et d’autres trucs un peu bizarres, voire fumeux. J’y ai eu quatre ans d’apprentissage: il faut bien le même timing pour désapprendre. »

Jazz?

Fred: « C’est une sensibilité, une curiosité. Il y a confusion sur le mot, beaucoup de gens le ramènent à un style réduit, comme cette copine persuadée que Norah Jones incarne le genre alors qu’elle est plutôt country (sic). Le jazz en lui-même est un métissage qui vient du blues: le jazz oblige à être fidèle à soi-même, à trouver des solutions musicales. »

Casimir: « C’est une façon de vivre, de voir les choses, que tu sois pauvre ou hyper-riche, c’est comme les nouveaux samouraïs… (rires) Il faut un peu oublier le jazz muséal où on fait la file pour jouer son solo (…), un peu comme si le jazz était un sport de compétition. C’est aussi une façon d’improviser. »

Improvisation?

Fred: « Mon premier choc a été (John) Coltrane, j’ai adoré son énergie, sans forcément comprendre ce qui se passait. Joachim Berendt, musicologue allemand, a relevé l’importance de l’improvisation dans la définition du jazz, au même titre que l’individualité des musiciens et la rythmique, ternaire, impaire, plutôt que binaire comme en rock. Quoiqu’une partie du jazz soit aussi en binaire… »

Casimir: « Dans l’improvisation, on sait d’emblée quand un groupe est jazz ou non. Quand Emerson, Lake & Palmer improvise en be-bop, cela sonne cliché, alors que quand Brad Mehldau y va, il parvient chaque fois à trouver quelque chose de différent. J’ai l’impression qu’en jazz, on attend plus le solo que le thème: du genre l’impro mortelle de Charlie Parker. Le jazz s’est d’ailleurs complexifié dans la composition. »

Fred: « Il ne faut être fidèle qu’à soi-même, comme Robert Wyatt, qui s’autorise ce si joli mélange de styles. Ou alors être Car Bomb qui floute intelligemment les frontières. »

Casimir: « Ma botte secrète, c’est d’écouter des vieux trucs, Soft Machine, Mahavishnu, ou alors de piocher dans les nouveautés, genre Skrillex ou Flying Lotus. Les jazzmen admettent éventuellement la musique de Björk ou de Radiohead mais quand tu parles de Megadeth, cela se complique (rires). »

Fred: « A l’internat de Rotselaar et puis dans les autres écoles avec des prêtres dont je me suis fait virer, j’adorais Nirvana et Slayer. Aaaah, Dave Mustaine (sourire).  »

Casimir: « D’autres genres musicaux se sont complexifiés, regarde le gospel où les instrumentistes sont extrêmement éduqués. Ils ont dû aller à Berklee (sourire). Le niveau en jazz, comme ailleurs, est techniquement meilleur qu’avant.  »

Rêve américain?

Fred: « Je suis souvent aux Etats-Unis, une partie de la famille de ma mère y réside, mon oncle habite à New York. J’y ai enregistré avec Marc Ribot et je trouve qu’il y a une vraie électricité dans l’air: parfois, tu as 150 groupes qui jouent le même soir. Tout y fonctionne par réseaux, plus ou moins établis. »

Casimir: « Là, je reviens des States où je partageais une maison à Bushwick Brooklyn. Je reviens habiter à Bruxelles mais je n’en ai pas fini avec l’Amérique et New York. C’est dur de gagner sa vie là-bas: pour être accepté, il faut déjà être pro. Après mes études à Berklee, j’ai un peu glandé avec mes potes, en faisant des petits gigs, du petit business. Aujourd’hui, je crois qu’il faut être dans le monde, pas seulement à New York! Quitte à y retourner plus tard, même si le rêve américain n’existe plus. D’ailleurs, beaucoup de musiciens US viennent vivre en Europe, à Paris, Londres, Copenhague…  »

Conclusion?

Fred: « J’espère que le live va prendre le dessus et qu’il faudra réinventer chaque concert, c’est cela le jazz. Le public doit se réhabituer à l’aspect humain et live, parce que les musiques des 20 dernières années ont été tellement retravaillées en studio qu’elles n’ont plus grand-chose à voir avec leur restitution en concert…  »

Casimir: « Je vais de plus en plus vers la composition, parce que composer, c’est improviser sur le moment! L’impro c’est le moment jubilatoire d’une compo, l’orgasme d’une oeuvre, comme un solo d’Eddie Van Halen ou d’Yngwie Malmsteen… »

(1) LE SUIVANT, ATOMIC RABBIT, VIENT DE SORTIR, INFOS SUR WWW.MYSPACE.COM/CASIMIRLIBERSKI – POUR FRED LYENN JACQUES, WWW.MYSPACE.COM/LYENNBRUSSELS

RENCONTRE ET PHOTO PHILIPPE CORNET

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