ACTIVISTE ÉCOLOGISTE DANS NIGHT MOVES DE KELLY REICHARDT, L’ACTEUR NEW-YORKAIS IMPOSE SON PROFIL MULTIPLE DE FILMS INDÉPENDANTS EN PRODUCTIONS HOLLYWOODIENNES, ET BIEN AU-DELÀ…

On pourrait y voir la synthèse de son parcours: dans The Double, film de Richard Ayoade attendu sur nos écrans début juin, Jesse Eisenberg joue tout et son contraire, à savoir, en l’occurrence, un homme réservé et son sosie charismatique. Une sorte d’évidence pour un acteur caméléon, passé de potacheries réjouissantes façon Adventureland ou Zombieland, à The Social Network de David Fincher, où il imposait l’image du fort en thème. Soit celle-là même qui persiste alors qu’on le retrouve dans une suite vénitienne pour évoquer, d’un débit qu’il a soutenu, Night Moves, le nouveau film de Kelly Reichardt (lire son interview page 16), auteure, auparavant, de bijoux indie façon Wendy & Lucy.

Confirmant son profil multiple, Eisenberg y campe Josh Stamos, un militant écologiste basculant dans l’activisme radical -un personnage dont l’acteur raconte avoir été attiré par l’opacité. « A la lecture du scénario, je ne voyais pas ce qui le motivait. Et en répétant pour le film, j’ai réalisé qu’il ne le savait pas lui-même. Il pense avoir des convictions fortes, mais sans réfléchir pour autant aux conséquences de ses actes. Et en ce sens, il est un mystère pour lui-même… » L’acteur s’engouffre dans cette zone d’ombre pour signer une composition sur le fil du rasoir. Et si les enjeux de son combat dépassent sans doute son personnage, il souligne l’avoir compris: « En travaillant sur le film, en Oregon, j’ai trouvé on ne peut plus compréhensible que l’on soit en colère face aux atteintes à l’environnement, et qu’en plus d’avoir une conscience écologiste aiguisée, l’on puisse devenir activiste. Je me suis passionné pour le sujet, et j’ai pu projeter mes sentiments dans le personnage, si ce n’est qu’il recourt à des moyens plus extrêmes que je ne le ferais. » Investi, ce que traduit du reste son jeu tout en intensité rentrée, Eisenberg semble l’être de tout son être. Kelly Reichardt raconte comment, avec ses partenaires Dakota Fanning et Peter Sarsgaard, il a accepté les conditions drastiques d’un tournage dépourvu de moyens –« il n’y avait pas différents niveaux de confort, mais un même niveau de non-confort pour tout le monde », sourit-elle. Expérience que, histoire de donner la pleine mesure de son personnage, l’acteur avait tenu à précéder d’une période de travail à la ferme –« il aime savoir le comment et le pourquoi de toute chose », dit-elle encore.

Marlon Brando venait d’une autre planète

A 30 ans, le comédien new-yorkais (il est originaire du Queens) semble avoir trouvé l’équilibre parfait entre films indépendants et productions hollywoodiennes, comme Now You See Me de Louis Leterrier. Y verrait-on l’ombre d’un plan de carrière qu’il assure ne pas avoir d’attentes particulières. « Mon background se situe au théâtre. Le cinéma me laisse toujours un peu perplexe: je ne sais pas comment les films se montent, ni pourquoi certains d’entre eux deviennent populaires, alors que d’autres ne sont vus par personne. C’est quelque chose que j’ai du mal à comprendre, alors que le fonctionnement du théâtre m’apparaît beaucoup plus clair. » Dramaturge et interprète, Jesse Eisenberg y consacre d’ailleurs une bonne partie de son temps, et The Revisionist, sa deuxième pièce, où il donnait la réplique à Vanessa Redgrave, a joué les prolongations Off-Broadway. Histoire de ne laisser planer aucun doute sur son ADN, il précise encore que l’idée de jouer au cinéma ne l’avait, pendant longtemps, pas même effleuré –« Marlon Brando me semblait venir d’une autre planète », lâche-t-il, alors qu’on l’interroge sur d’éventuels modèles.

Ceux-là seraient plutôt à aller chercher du côté de Woody Allen. Jesse Eisenberg avoue un faible pour Crimes and Misdemeanors, et confesse bien volontiers avoir été proprement soufflé par le réalisateur new-yorkais lors du tournage de To Rome with Love: « Le plus impressionnant, c’était son aisance. Un réalisateur va généralement multiplier les angles pour une scène afin de se couvrir. Woody Allen sait évaluer prestement comment la tourner de la manière la plus efficace, ou la modifier immédiatement si quelque chose ne fonctionne pas. C’est le fruit de son immense talent, mais aussi de son expérience… » En attendant, qui sait, de passer derrière la caméra –« s’il s’agissait d’adapter l’une de mes pièces, pourquoi pas? »-, le comédien compte aussi désormais, tout comme le cinéaste en son temps, parmi les chroniqueurs du prestigieux magazine The New Yorker. « Je leur ai soumis des textes pendant des années avant d’être finalement publié. Une fois accepté, vous faites partie de leur monde. » Une forme d’accomplissement, pour un Eisenberg vantant sans se faire prier la culture de l’hebdomadaire. « C’est le seul magazine que je connaisse à ne jamais mettre de personne célèbre en couverture », observe avec une moue approbatrice celui qui veille aussi avec un soin jaloux sur sa vie privée, au point d’être toujours dépourvu de compte Facebook, tout Mark Zuckerberg qu’il fut à l’écran. Et de poursuivre: « Je suis sensible à l’intégrité littéraire du New Yorker, mais aussi à son histoire sans équivalent. J’écris depuis toujours, mais il m’a fallu trouver mon humour, ma propre voix. Y arriver m’a pris du temps, et j’ai été gagné plusieurs fois par le découragement. Jusqu’au jour où le comédien Bob Odenkirk m’a dit combien ce que j’écrivais était mauvais, et m’a conseillé d’être plus personnel. Cela a changé ma vie. Après m’être longtemps fourvoyé, j’ai finalement eu la révélation de ce que je savais faire, et depuis, tout coule de source… »

RENCONTRE Jean-François Pluijgers, À Venise

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