Si des questions d’identité vous chipotent -une envie de changer de sexe, un besoin pressant de dépouiller la garde-robe de votre conjoint(e), un dédoublement de personnalité…-, pas de panique, c’est normal. Enfin, du moins si l’on en juge par la germination de ces troubles de la personnalité, jugés hautement subversifs et déviants il n’y a pas si longtemps encore, dans le terreau culturel, même le plus mainstream.

Au registre transgenre, on pointera dans les sorties récentes, et venant après Les Garçons et Guillaume, à table! de Guillaume Gallienne, le dernier Ozon, Une nouvelle amie, qui voit un veuf se glisser dans les habits et la peau de sa femme pour un jeu de rôle à trois bandes virant bientôt à l’obsession. Sur un mode plus échevelé, le roman de Philippe Djian, Chéri-Chéri, correspond parfaitement aussi au profil recherché, avec ce portrait haut en couleurs de Denis, écrivain de seconde zone le jour, danseuse de cabaret la nuit. Ceci en attendant Transparent, une série télé produite par Amazon qui marche sur les traces de Glee et met à rude épreuve les relations père-enfants à l’heure du coming out paternel, devenu femme des années plus tôt sans avoir jamais osé révéler ce « détail ». Un sacré coup de pied dans le modèle familial idéal!

Et quand ce n’est pas sur son versant sexuel que l’édifice identitaire s’effrite, c’est sa toiture qui prend l’eau. Avec de nombreux cas de schizophrénie caractérisés, signes d’une tentative, consentie ou non, de se réinventer ou d’explorer un autre soi. Là aussi, l’actualité récente fourmille d’exemples explicites, de Enemy de Denis Villeneuve, l’histoire d’un homme dont la routine part en vrille le jour où il aperçoit dans un film son double parfait, à The Double, chronique blafarde d’un fonctionnaire voyant débarquer dans sa vie son sosie autoritaire, en passant, sur un mode plus métaphorique, par Maps to the Stars ou Sils Maria, tous deux confrontant des actrices vieillissantes avec les fantômes de leur jeunesse. Une variation temporelle sur le même thème du double je.

Il y a quelque chose de cocasse, si pas de rafraîchissant, à constater qu’après 2000 ans de propagande chrétienne, l’Homme cherche toujours à s’émanciper du schéma classique. Les menaces, la prison, les sermons, l’asile, l’ostracisme, le rejet, la violence et les condamnations à mort n’ont pas réussi à ramener à la « raison » ceux qui vivent dans un corps étranger. La souffrance est trop forte et l’équation biblique à deux inconnues, Adam et Eve, trop simpliste. La sincérité de leur démarche mérite au moins d’être entendue par-delà les préjugés et inquiétudes parfois légitimes de tous ceux qui redoutent qu’une brèche en entraînant une autre, le mur de la moralité s’effondre. Ces films, séries télé, romans ou ces chanteurs assis à califourchon sur la ligne rouge du genre comme Antony Hegarty ou Ariel Pink (lire page 24) défrichent le terrain, assouplissent le cuir des mentalités. La fiction est en quelque sorte la vaseline du changement. A contrario, elle peut aussi illustrer les conséquences intimes d’un refus d’obtempérer à son moi profond. Tout le monde se souvient d’American Beauty: il n’est jamais bon de remettre le couvercle sur la marmite de nos désirs, elle finit tôt ou tard par exploser…

PAR Laurent Raphaël

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