Jacqui

« C’est sans doute une des pires choses au monde que de tuer la femme que vous aimez, et puis de réfléchir à un moyen de vous débarrasser de son cadavre. » Dès le début du roman, tout semble dit, le verdict établi, et les pages qui suivent contribueront sans l’ombre d’un doute à charger sans limite la barque poisseuse du narrateur. Chauffeur de taxi aigri planté dans le décor sinistre du Westminster des années 80, ce sale type à gifler aborde d’entrée de jeu le rôle peu ragoûtant de l’éternel donneur de leçons, triste sir débitant âneries réactionnaires et hyper-sexistes à longueur d’élucubrations ( « Une jolie fille est capable de berner un homme à coup sûr », « On dirait qu’elles se contentent d’aller et venir d’une boutique à l’autre sans jamais respirer l’air pur« , et ainsi de suite). En s’enfonçant dans ce cloaque le nez pincé, mais fasciné presque à chaque page par une tournure hilarante, un impeccable style, le lecteur apprend à son corps défendant à saisir (sans le partager) l’étrange fonctionnement du bonhomme… puis presque à s’abîmer en commisération pour ce pauvre type raide dingue d’une jeune prolo née dans le vice et la crasse, qu’il rêve de façonner épouse et mère idéale avant de la supprimer sur un coup de sang, épuisé d’avaler chaque jour des kilomètres de spongieuses couleuvres. Peter Loughran, leader culte -mais dont on ne sait quasiment rien- de toute une génération d’auteurs « noirs » depuis son Londres Express de 1967, s’amuse ici à choquer (fort) et à cracher (loin) sur un peu tout le monde, sans jamais vraiment se prendre au sérieux, comme l’atteste l’émergence permanente d’une ironie crue sinon d’un humour pompier. Parfaitement étrange, étrangement parfait.

de Peter Loughran, éditions Tusitala, traduit de l’anglais (Irlande) par Jean-Paul Gratias, 248 pages.

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