Troisième film de Jeff Nichols, Mud s’inscrit dans un Sud mouvant, récit d’apprentissage dévidant sa trame au fil des eaux du Mississippi. superbe et habité…

Mud

De Jeff Nichols. Avec Tye Sheridan, Matthew McConaughey, Reese Witherspoon. 2 h 10. Sortie: 26/06.

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Deux films, Shotgun Stories et Take Shelter, ont suffi à imposer Jeff Nichols parmi les voix les plus inspirées du nouveau cinéma indépendant américain. Arrivant sur nos écrans plus d’un an après sa présentation à Cannes, Mud vient confirmer la singularité du regard du cinéaste originaire de Little Rock, un auteur dont l’oeuvre s’inscrit dans la chair d’un Sud mouvant. C’est là un cadre charriant un imaginaire particulièrement fécond; il en va de même, a fortiori, des eaux boueuses du Mississippi où le récit prend sa source. Soit l’histoire de Ellis (l’épatant Tye Sheridan, découvert, et il n’y là assurément rien de fortuit, dans The Tree of Life, de Terrence Malick) et de Neckbone (Jacob Lofland), deux gamins de l’Arkansas ayant grandi sur les berges du fleuve, qu’une escapade en barque conduit un matin sur une île, à la recherche d’un bateau déposé par une crue dans un arbre.

L’embarcation est bien là, en effet, dont l’apparition, aussi magique qu’improbable, a tôt fait de nourrir leurs fantasmes d’aventures. Il y a plus toutefois, en la personne de Mud (Matthew McConaughey, tout simplement épatant), individu énigmatique échoué lui aussi sur ce morceau de terre. Si l’homme a de toute évidence un passé fort trouble, son avenir passe, dit-il, par la promesse de ses retrouvailles avec la troublante Juniper (Reese Witherspoon, magnifique en beauté du Sud fatiguée). Perspective dans laquelle Ellis va accepter de l’aider, séduit par l’idée d’un amour frappé d’absolu, terrain sur lequel son entourage, parents en tête, s’est montré largement démissionnaire à ses yeux. Et de s’engager dans une entreprise à hauts risques…

Un présent immémorial

Il y a quelque chose de grisant à se laisser glisser au fil du Mississippi à la suite de Ellis et Neckbone, héros de ce récit d’apprentissage écrit à hauteur d’adolescence. S’il assume totalement l’héritage d’un Mark Twain, Jeff Nichols s’emploie aussi à doter cette stimulante et émouvante aventure fondatrice de ramifications multiples, à l’image des bras de ce fleuve dont il réussit à capter le rythme singulier, tout en en magnifiant le cadre, sauvage et majestueux, par son sens aiguisé de l’espace -il y a là divers plans de toute beauté que n’aurait pas renié Terrence Malick soi-même, on y revient.

Voyage initiatique déclinant la figure de la recherche du père, Mud adopte aussi les contours, hantés et ténébreux, d’un polar du Sud, en une plongée Into the Wild à tout le moins, à quoi se greffent les tonalités déclinantes d’un monde à l’agonie programmée. De quoi composer une oeuvre à la densité peu banale, ancrée dans un présent aux accents immémoriaux. Apre et tendre à la fois, c’est là un tout grand film, venant confirmer, si besoin en était, que Jeff Nichols est bel et bien un cinéaste majeur.

Jean-François Pluijgers

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